Quand faut-il crier au génocide ? Les Nations unies ont-elles eu raison d’alerter ces derniers jours sur l’imminence d’une logique génocidaire en Centrafrique ? En convoquant trop hâtivement « le crime des crimes », n’y a-t-il pas un risque de dévaloriser le terme de « génocide » au risque qu’il perde sa capacité d’alerte ?
En août dernier, Stephen O’Brien, Secrétaire général-adjoint de l’ONU, en charge des affaires humanitaires a averti le Conseil de sécurité de l’ONU « des signes avant-coureurs d’un génocide en Centrafrique ». Il fut alors critiqué pour son alarmisme exagéré par la quasi-totalité des experts de ce pays. Ainsi, Didier Niewiadowski, ex-conseiller à l’ambassade de France en Centrafrique et juriste, souligne dans un entretien à JusticeInfo.net : « La notion de génocide est précise. Y a-t-il actuellement une planification de l'élimination physique systématique, quelque soit l'âge où le sexe, d'un groupe ethnique ou religieux ? La réponse est non. En revanche, on peut effectivement s’inquiéter de la multiplication des massacres de population, dans l'extrême-est et le nord-ouest du pays, qui présentent souvent un caractère inter communautaire. Ces crimes restent actuellement localisés et ne sont pas, à ce stade, sous-tendus par une stratégie d'épuration. Néanmoins, jamais le danger d'une explosion nationale n'a été aussi grand ». Stephen O’Brien se justifiait cependant sur l’emploi du terme de « génocide » le 9 septembre dans un entretien au journal Libération, affirmant que « si on attend les preuves d’un génocide, il sera trop tard pour intervenir ».
Alors, quand faut-il sonner l’alerte maximale ? Et s’abstenir de le faire lorsque la situation est dramatique, que des crimes de guerre et des violations massives des droits de l’homme ont lieu depuis des années, mais sans satisfaire totalement la définition de « génocide » précisée dans l’article 6 des Statuts de la Cour pénale internationale, soit « l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » ? Dans cette analyse à la fois sémantique et juridique de l’utilisation du mot « génocide », il y a une dimension proprement vertigineuse : comme s’il fallait le label du « crime des crimes » pour susciter un intérêt des opinions publiques, des médias et, in fine, des Etats.
Nul, pourtant, ne disconvient que la situation en Centrafrique est épouvantable. Les Nations ont méticuleusement retracé les crimes de guerre commis entre 2003 et décembre 2015 dans un rapport publié ces derniers mois. Aujourd’hui, une quinzaine de groupes armés règnent sur les quatre-cinquième d’un territoire plus grand que la France et terrorisent la population, se combattant pour piller le sous-sol riche de mines d’or, de diamants et d’autres matières premières. Et les massacres s’ajoutent aux massacres dans une litanie sans fin. Avec l’opération militaire Sangaris, la France était intervenue pour prêter main forte aux forces des Nations unies, mais s’est retirée en octobre 2016. Entre avril dernier et aujourd’hui, le nombre de déplacés a augmenté de 50%, dépassant 600.000 personnes. Le gouvernement contrôle difficilement la capitale Bangui et n’y parvient que grâce aux casques bleus des Nations unies. Et l’ONU a toutes les peines du monde à financer ses 12.000 soldats de la paix.
Ces dix dernières années, les plans de paix se sont succédés les uns aux autres, sans avoir jamais connu un début de matérialisation, provoquant la lassitude et l’indifférence de plus en plus marquée de la communauté internationale. L’élection démocratique du président Faustin-Archange Touadéra l’année dernière avait été vue par le peuple centrafricain comme un immense espoir de tourner la page d’une guerre civile interminable. Mais l’espoir est désormais retombé devant la multiplication des violences.
Dans les prochaines semaines, la situation de la Centrafrique sera discutée à New York et les discussions porteront sur la prolongation de la présence de la MINUSCA. D’où la tentation pour les responsables de l’ONU en vue de ce prochain rendez-vous de jouer l’ultime carte, de crier au « génocide », en espérant encore mobiliser les Etats. Comme à la fois un aveu d’impuissance et un appel au secours.