En Centrafrique, des civils sans défense continuent de tomber sous les balles des groupes armés alors que le gouvernement réceptionne quelques fusils restitués par des ex-combattants dans le cadre d’un programme peu convaincant de désarmement et de démobilisation.
Après maints atermoiements, le président Faustin Archange Touadera a procédé le 30 août au lancement officiel de la phase pilote du processus de Désarmement, Démobilisation, Réinsertion et Rapatriement (DDRR). « Pour mieux aborder les activités du programme national DDRR, la stratégie que j’ai instruite est de démarrer par un projet pilote pour voir les forces et corriger les faiblesses avant de mettre en œuvre le grand projet », a expliqué le chef de l’Etat centrafricain.
Egalement présent, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Centrafrique, Parfait Onanga-Anyanga, s’est, pour sa part, réjoui que « 13 sur les 14 groupes armés aient décidé de participer au projet pilote ».
Le Front populaire pour la renaissance de Centrafrique (FPRC), l’un des mouvements les plus forts et les plus actifs sur le terrain aujourd’hui, n’a pas encore soumis sa liste de combattants à désarmer. Il explique attendre encore du gouvernement la réponse aux conditions posées pour son désarmement. Les exigences restent confidentielles mais elles comprendraient, selon des analystes, une sorte d’amnistie pour ses responsables, parmi lesquels Nourredine Adam. Déjà sous le coup de sanctions internationales, Nourredine Adam risque par ailleurs d’être poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) ou la Cour pénale spéciale de Centrafrique (CPS) pour crimes commis dans ce pays.
Moins d’une semaine après cette cérémonie, plus exactement le 4 septembre, les premières armes ont été restituées sous les caméras de la presse nationale et internationale. Près d’une centaine d’ex-combattants issus de 13 groupes armés ont déposé des armes individuelles dans une base militaire de la capitale. « Il y a des armes qui sont en bon état de fonctionnement et ce sont les armes de guerre qu’ils ont ramenées », s'est félicité le colonel Noël Sélesson, coordinateur national du programme DDRR.
Des armes plus meurtrières
Deux options sont ouvertes à ceux restituent leurs armes : l’intégration au sein des Forces armées centrafricaines (FAR), qui n’existent plus que de nom actuellement, ou la réinsertion socio-économique. Les premiers « intégrables » de cette phase pilote qui implique 560 ex-combattants devraient ainsi suivre une formation ad hoc dès novembre prochain avant de revêtir officiellement l’uniforme. Quant aux autres, ils seront rendus à la vie civile avec un appui de la Banque mondiale, leur permettant de démarrer une activité génératrice de revenus.
Le programme DDRR concerne au total 7.000 combattants éligibles, selon la Mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca).
Les ex-combattants qui ont déposé les armes le 4 septembre viennent de groupes armés issus de l’ex- Séléka et de la milice Antibalaka. La Seleka, aujourd’hui éclatée, est une coalition rebelle qui a chassé du pouvoir le président François Bozizé en mars 2013. Impliqués dans de nombreuses exactions contre la population, les rebelles de la Seleka ont dû faire face aux milices d’auto-défense antibalaka, qui, à leur tour, se sont livrées à des violences contre les civils, visant les musulmans en particulier.
« Le moment de la guerre est fini et tout le monde doit œuvrer pour que le pays retrouve la paix et permettre au peuple de vaquer librement à ses occupations », a déclaré Ferdinand Ndjérayoum, représentant de l' « ex-Séléka rénovée », lors du démarrage effectif de cette phase pilote.
Les mots de ce chef ex-Séléka sonnent, à tout le moins, comme un simple vœu pieux. En effet, commente un journaliste centrafricain, « chaque combattant a restitué une seule arme le 4 septembre, alors qu’il y a en moyenne trois armes par personne».
Pire encore, pendant que le gouvernement réceptionne ces quelques fusils restitués au compte-goutte, des groupes armés affûtent ou font entrer, dans leurs fiefs, de nouvelles armes plus meurtrières. Pendant que les autorités préparent la destruction de ces vieilles kalachnikovs, des armes plus puissantes crépitent, fauchant, non plus seulement des civils, mais aussi des Casques bleus des Nations unies, des humanitaires et des hommes d’église.
« Les groupes armés détruisent les ponts »
Déterminés à poursuivre leurs exactions en toute liberté et loin des regards de témoins gênants, certains groupes armés ont aujourd’hui changé de tactique, selon Parfait Onanga Anyanga. « Aujourd’hui, notre mouvement est ralenti par les éléments armés qui détruisent systématiquement les ponts qui permettent à la Minusca d’aller porter secours sur l’ensemble du pays », déplore Onanga Anyanga, cité par Radio Ndeke Luka. « Même dans la guerre, on ne peut pas détruire, on ne peut pratiquer la politique de la terre brûlée », s’insurge le diplomate onusien, soulignant que la Centrafrique « est devenue le pays le plus dangereux pour les travailleurs humanitaires ».
De fait, à Batangafo, dans l’Ouham (nord de Centrafrique) où des combats opposent, depuis la fin de la semaine dernière, des combattants ex - Séléka à des miliciens Antibalaka, les humanitaires ont plié bagages. Suite à ce regain de violences qui a déjà fait plusieurs morts, selon des témoins, les habitants de la région ont été, pour la énième fois, obligés de chercher refuge dans la brousse.
Dans un entretien avec JusticeInfo en juin dernier, Thierry Vircoulon, chercheur associé au Programme Afrique subsaharienne de l'Institut français des relations internationales (Ifri) prévenait, fort justement, que ce processus DDRR et d’autres initiatives visant à ramener la paix en Centrafrique resteront voués à l’échec « tant que le rapport de force sera en faveur des groupes armés ». « Il faut que la communauté internationale décide de mettre les moyens pour changer ce rapport de force en faveur des Casques bleus », recommandait-il.