Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé mercredi la Birmanie à suspendre ses opérations militaires contre la minorité Rohingya, considérant que les autorités se livraient à un nettoyage ethnique.
La dirigeante birmane Aung San Suu Kyi a fait savoir de son côté qu'elle annulait un déplacement à l'ONU pour son Assemblée générale annuelle qui débute la semaine prochaine et promis de sortir publiquement de son silence.
Le Conseil de sécurité s'est réuni mercredi à huis clos pour discuter des violences dans l'État birman du Rakhine (ouest) qui ont déclenché l'exode de réfugiés rohingyas vers le Bangladesh.
"J'appelle les autorités de Birmanie à suspendre les activités militaires et la violence et à faire respecter la loi", a déclaré M. Guterres, au cours d'une conférence de presse à New York. S'agit-il de nettoyage ethnique ? "Quand un tiers de la population Rohingya doit fuir le pays, pensez-vous pouvoir trouver un meilleur mot pour décrire" la situation, a-t-il rétorqué à un journaliste, sans lui-même prononcer le mot de génocide.
Aung San Suu Kyi, ex-dissidente et prix Nobel de la paix, est sous le feu des critiques à l'international pour sa position ambiguë sur le sort de cette minorité musulmane persécutée en Birmanie.
Lors de l'Assemblée générale de l'ONU de l'an dernier, elle s'était engagée de la tribune à défendre les droits de la minorité musulmane.
Pressée de s'exprimer par la communauté internationale, mais devant maintenir un précaire équilibre dans ses relations avec la très puissante armée birmane, Suu Kyi prononcera finalement le 19 septembre un discours télévisé sur la situation au Rakhine, ont annoncé ses services.
- Crise humanitaire -
L'ONU considère que les Rohingyas sont victimes d'une "épuration ethnique" au Rakhine (aussi appelé Arakan), région historiquement en proie à des troubles communautaires et sujette à une nouvelle flambée de violences depuis fin août.
Lors de son seul commentaire officiel sur cette crise, la cheffe du gouvernement birman avait dénoncé un "iceberg de désinformation" sur les Rohingyas et défendu l'action de l'armée.
Plus de 379.000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh depuis fin août pour fuir une campagne de répression de l'armée birmane consécutive à des attaques de rebelles rohingyas. Et des milliers d'autres seraient toujours sur les routes.
Autorités locales et organisations internationales peinent à prendre en charge cette marée humaine. Les réfugiés arrivent au Bangladesh épuisés et affamés, après des jours de marche sous la pluie et au péril de leur vie.
Dans un hôpital du district bangladais de Cox's Bazar visité par une équipe de l'AFP, une salle entière était remplie de réfugiés rohingyas blessés, le plus souvent par balle mais aussi par des mines antipersonnel pour certains.
Le silence n'était rompu que par les gémissements de douleur d'un adolescent de 15 ans ayant perdu ses deux jambes. Les médecins ne lui donnaient plus longtemps à vivre.
A quelques kilomètres, au-delà des camps de réfugiés transformés en bourbiers par les pluies, la rivière Naf - frontière naturelle entre la Birmanie et le Bangladesh - continuait de charrier des cadavres de réfugiés ayant péri dans le naufrage de leurs embarcations de fortune.
Dans une lettre ouverte au Conseil de sécurité, une dizaine de prix Nobel ont appelé mercredi les Nations unies à "des actions audacieuses et décisives".
"Nous vous demandons d'agir immédiatement pour faire cesser les attaques militaires aveugles sur des civils innocents", indique ce texte signé entre autres par le Bangladais Muhammad Yunus, la Pakistanaise Malala Yousafzai et le Sud-Africain Desmond Tutu.
Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a directement "exprimé ses profondes préoccupations quant à la situation des musulmans rohingyas" lors d'une conversation téléphonique mercredi avec Mme Suu Kyi. Il l'a enjoint à "mettre fin à la violence" et à "assurer la protection des civils", selon des éléments de la conversdation rendus publics par le gouvernement canadien.
- 'Impératif moral' -
Le Conseil de sécurité s'annonce divisé: la Chine, qui est le premier investisseur étranger en Birmanie, a réitéré son "soutien" à Naypyidaw (la capitale birmane) et loué "ses efforts pour préserver la stabilité de son développement national".
"Nous espérons que le Conseil de sécurité va proposer des décisions substantielles et notamment un embargo sur les armes", a déclaré de son côté Phil Robertson de Human Rights Watch.
Antonio Guterres a réfuté mercredi toute incapacité des Nations unies à mettre un terme à la "tragédie" de populations "qui souffrent, qui sont décimées". Il a mis en avant l'action des instances de l'ONU chargées des droits de l'Homme et de celles qui fournissent de l'aide humanitaire dans les zones du Bangladesh où fuient les Rohingyas. "J'espère que le Conseil de sécurité pourra envoyer un message très fort à la Birmanie", a ajouté Antonio Guterres.
Traités comme des étrangers dans ce pays à plus de 90% bouddhiste d'Asie du Sud-Est, les Rohingyas sont apatrides, même si certains y vivent depuis des générations.
Ils sont victimes de multiples discriminations: travail forcé, extorsion, restrictions à la liberté de mouvement, règles de mariage injustes et confiscation des terres.
Mais la tâche d'Aung San Suu Kyi est compliquée par la montée des bouddhistes extrémistes ces dernières années. Et surtout par la grande autonomie de l'armée birmane, qui reste toute puissante dans cette zone de conflit et tient les rênes de trois ministères importants: l'Intérieur, les Frontières et la Défense.