(Nairobi, le 29 septembre 2017) – Au Rwanda, des opposants politiques sont arrêtés, victimes de disparition forcée et font l’objet de menaces depuis les élections présidentielles du mois d’août 2017, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le président en place, Paul Kagame, a remporté les élections avec un score annoncé de 98,79 pour cent des voix.
Parmi les personnes ciblées figurent Diane Rwigara, qui avait porté sa candidature à l’élection présidentielle en tant qu’indépendante, avant que celle-ci ne soit rejetée, les membres de sa famille et ses partisans, ainsi que plusieurs leaders et membres des Forces démocratiques unifiées (FDU)-Inkingi, un parti d’opposition.
« La répression du gouvernement rwandais montre qu’il n’est nullement disposé à tolérer la critique ou à accepter que les partis d’opposition jouent un rôle, et cela envoie un message effrayant à ceux qui oseraient remettre en cause le statu quo », a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Chaque arrestation au Rwanda implique que de moins en moins de personnes vont oser élever leur voix contre la politique ou les abus de l’État ».
Les autorités rwandaises n’ont pris aucun risque pour l’élection présidentielle du 4 août, et ce malgré les faibles chances des candidats d’opposition, quels qu’ils soient. Plusieurs aspirants à la présidence ont vu leur participation interdite. Les deux autres candidats autorisés à se lancer dans la course et rivaliser contre Kagame, Frank Habineza et Philippe Mpayimana, ont rapporté avoir été victimes de harcèlement, de menaces et d’intimidations. Au cours des jours qui ont suivi l’élection, Human Rights Watch s’est entretenu avec des activistes locaux et des citoyens ordinaires qui ont fait état d’intimidations et d’irrégularités tant au cours de la campagne que durant le scrutin.
Le 29 août, les forces de police se sont présentées au bureau de Diane Rwigara à Kigali, la capitale, et l’ont emmenée à son domicile, où elles ont interrogé Diane Rwigara et les membres de sa famille, auxquels elles ont interdit de quitter leur maison. Le 30 août, à la suite de rumeurs indiquant que Diane Rwigara avait été arrêtée ou victime de disparition forcée, la police a annoncé qu’elle n’était pas en détention mais qu’elle faisait l’objet d’une enquête en cours.
Après plusieurs semaines d’intimidation, d’interrogatoires et de restrictions de mouvements qui leur ont été imposées, Diane Rwigara et sa sœur, Anne, qui a la double nationalité rwandaise et américaine, ainsi que leur mère Adeline, qui a la double nationalité rwandaise et belge, ont été arrêtées le 23 septembre. Elles sont détenues par la police à Kigali.
La police explique qu’elle a arrêté toutes les trois, entre autre, pour « avoir révélé en public des informations qui d’après la loi sont supposées être confidentielles ». Au cours des semaines d’interrogatoires précédant son arrestation, Diane Rwigara a expliqué à Human Rights Watch qu’elle était accusée de faux concernant des signatures présumées invalides pour l’établissement de sa candidature, d’avoir illégalement constitué et dirigé une organisation politique et d’inciter à l’insurrection et au trouble parmi la population. La famille a également été accusée de fraude fiscale.
Au cours des jours qui ont précédé son arrestation, Diane Rwigara s’est exprimée dans les médias internationaux et a critiqué les actions de la police et les accusations à son encontre. Quelques heures avant son arrestation, Diane Rwigara a dit à l’un de ces médias que sa famille était « persécutée pour ses critiques à l’égard du gouvernement ».
Le harcèlement de Diane Rwigara a commencé au mois de mai, lorsque—72 heures après l’annonce de son intention de participer à l’élection présidentielle—des photos d’elle nue ont été publiées sur les réseaux sociaux afin visiblement de tenter de l’humilier et de l’intimider. Diane Rwigara a affirmé que les photos avaient été photoshopées. En juillet, la Commission électorale nationale a rejeté sa candidature, affirmant que nombre des signatures soutenant sa candidature n’étaient pas valides. Diane Rwigara a réfuté ces accusations et affirmé qu’elle avait rempli les exigences pour être éligible.
« Tout ceci est lié à mes activités politiques », a rapporté Diane Rwigara à Human Rights Watch le 13 septembre. « Ils ne voulaient pas me laisser mener ma campagne librement et maintenant ils en ont après moi et ma famille ».
Depuis que Diane Rwigara fait l’objet d’une enquête de police, certains de ses partisans ont été arrêtés ou harcelés. Le 12 septembre, la police a arrêté un partisan à son domicile où ils ont trouvé des T-shirts de soutien à Diane Rwigara. Il a été détenu dans un lieu inconnu et interrogé à propos de Diane Rwigara, avant d’être relâché cinq jours plus tard. Deux des membres de la famille de ce partisan ont également été arrêtés et l’un d’eux a été libéré après avoir été détenu une semaine dans un lieu inconnu. L’autre membre est, lui, toujours en détention.
L’arrestation de Diane Rwigara intervient alors que la pression sur d’autres opposants politiques va croissant. Le 6 septembre, sept membres des FDU-Inkingi ont été arrêtés par la police, parmi lesquels figuraient quatre des leaders du parti : Boniface Twagirimana, premier vice-président ; Fabien Twagirayezu, responsable de la mobilisation du parti ; Léonille Gasengayire, trésorière adjointe ; et Gratien Nsabiyaremye, commissaire adjoint. Théophile Ntirutwa, représentant du parti à Kigali, a été porté disparu le 6 septembre. La police a par la suite arrêté d’autres membres des FDU-Inkingi.
Depuis 2010, les FDU-Inkingi sont confrontées à des défis sérieux. Le parti n’a été autorisé ni à s’enregistrer ni à participer aux élections et ses membres ont été arrêtés et harcelés à maintes reprises. La présidente du parti, Victoire Ingabire, est depuis 2010 en prison où elle purge une peine de 15 ans prononcée à l’issue d’un procès entaché d’irrégularités.
Le 26 septembre, les accusations ont été confirmées contre huit membres des FDU-Inkingi, dont les quatre leaders, et ils sont actuellement placés en détention préventive à Remera, une banlieue de Kigali. Ils sont inculpés de création d’un groupe armé irrégulier et de délits contre le président. L’un des membres du parti a été libéré.
Théophile Ntirutwa, le membre des FDU-Inkingi porté disparu le 6 septembre, a été victime de disparition forcée et détenu au secret pendant 17 jours, jusqu’à ce qu’un membre de sa famille ne puisse lui rendre visite au poste de police de Remera le 23 septembre. Au cours de cette période, la police n’a pas voulu confirmer à Human Rights Watch ou à sa famille s’il était ou non en détention. Théophile Ntirutwa n’a pas été inculpé.
Un homme emmené en même temps que Théophile Ntirutwa a plus tard raconté à Human Rights Watch il était en train de traverser la rue avec Théophile Ntirutwa à Kicukiro, une banlieue de Kigali, « lorsqu’une voiture s’est arrêtée et nous avons été contraints d’y monter par des hommes armés de pistolets. L’un d’eux a dit : ‘Nous vous emmenons parce que vous voulez créer de l’insécurité au Rwanda.’ Ils nous avaient recouvert la tête pour que nous ne puissions pas voir où nous allions ».
Il a ensuite été interrogé au sujet du parti. « Lorsque j’ai demandé un avocat, il m’a été rétorqué ‘Nous te tuerons’. Ils m’ont poussé à terre, m’ont frappé et m’ont traité d’idiot. » Plus tard, un homme habillé en civil lui a enlevé son masque, a pointé un pistolet sur lui et a lancé : « si tu continues de refuser de répondre à nos questions, tu vas voir ». Après une vingtaine d’heures, il a été libéré du poste de police de Remera.
Théophile Ntirutwa avait déjà été détenu avant, le 18 septembre 2016, présumément par l’armée, à Nyarutarama, une banlieue de Kigali. Il a été détenu, battu et interrogé sur son affiliation aux FDU-Inkingi, puis relâché deux jours plus tard.
Léonille Gasengayire, une autre des personnes arrêtées, avait précédemment été arrêtée après avoir rendu visite en prison à Victoire Ingabire en mars 2016. La police l’avait détenue pendant trois jours, l’avait battue, interrogée et lui avait refusé l’accès à un avocat. La police l’avait libérée sans inculpation avant de l’arrêter une nouvelle fois en août 2016 et de l’accuser d’incitation à l’insurrection et au trouble parmi la population. Elle avait également été accusée d’attiser l’opposition locale à l’expropriation des habitants locaux de leurs terres dans son district d’origine et de soutenir les FDU-Inkingi. Les habitants locaux qui avaient essayé de témoigner en sa faveur lors de son procès ont subi des intimidations. Un tribunal l’a acquittée et libérée le 23 mars 2017.
Les disparitions forcées, les arrestations et détentions illégales et les mauvais traitements constituent des violations manifestes du droit rwandais et du droit international. Human Rights Watch a documenté au cours des dernières années de nombreux cas dans lesquels les opposants au gouvernement, et plus particulièrement ceux accusés d’être une menace pour la sécurité de l’état, ont été placés en détention par l’armée et souvent torturés ou mal traités dans le but d’obtenir des informations ou des aveux forcés. Des opposants politiques ont également été reconnus coupables de crimes contre la sécurité de l’état et condamnés à de longues peines d’emprisonnement à l’issue de procès entachés d’irrégularités.
Les autorités rwandaises devraient clarifier les circonstances de la détention au secret de Théophile Ntirutwa et s’assurer que les responsables de telles détentions illégales vont devoir répondre de leurs actes, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités devraient également veiller à ce que les tribunaux ne soient pas utilisés à des fins politiques et à ce que les opposants politiques accusés de crimes bénéficient de procès libres et équitables.
« Le gouvernement a recours à ses stratégies habituelles pour écraser la contestation », a conclu Ida Sawyer. « Les bailleurs de fonds du Rwanda et les autres acteurs internationaux devraient condamner cette vague de répression flagrante contre l’opposition politique ».
Cet article a été publié précédemment par HRW