En adhérant en avril dernier à la Cour pénale internationale (CPI), l’Autorité palestinienne entend poursuivre sa politique d’isolement de l’Etat hébreu. De fait, comment mieux y parvenir que voir la plus haute juridiction internationale – peut-être - poursuivre pour crimes de guerre des responsables politiques et militaires israéliens ? Une hypothèse qui inquiète le gouvernement Netanyahu et pour cause : les colonies en Cisjordanie représentent une violation grave du droit international. A cette première crainte s’ajoute une deuxième : d’être condamné pour crimes de guerre pour des bombardements indiscriminés. Lors du conflit de l’été dernier entre le Hamas et l’Etat hébreu, les tirs israéliens avaient tué à Gaza un millier de civils, dont plus de deux cents enfants, rasé des quartiers et détruit une grande partie de l’infrastructure. La manière dont la Cour abordera la question de l’usage disproportionné de la force qui peut constituer un crime de guerre aura des répercussions bien au-delà du Proche-Orient.
Cela concerne très directement les armées de l’OTAN qui récemment ont été ou sont déployées dans de nombreux conflits asymétriques : Irak, Afghanistan, Mali, Centre-Afrique, et demain, sans doute, sur d’autres terrains encore. Comme les forces israéliennes à Gaza, les armées de l’OTAN ont affronté et affronteront des groupes armés qui frappent, puis se dissimulent dans la population, et parfois se servent d’elles comme de boucliers. Ce qui n’est pas sans rappeler la bataille de Faloujah livrée par l’armée américaine en 2004. Là comme ailleurs, les armées conventionnelles affrontent des groupes armés qui ne s’estiment pas tenus par les règles du droit international et n’ont cure d’être condamnés, sans même parler de Daesh, qui poste des vidéos, se vantant d’actes qui sont autant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Rappelons-nous la guerre d’Algérie et la célèbre phrase de Larbi Ben M’Hidi, figure emblématique de la guerre d’indépendance, qui justifiait des attentats aveugles contre la population civile dans des lieux publics : « Donnez-nous vos avions et nous vous donnerons nos couffins » (les bombes étaient souvent cachées dans des poussettes). De manière similaire, le Hamas justifie les centaines de roquettes qu’il a lancées sur les populations civiles dans les villes israéliennes, au nom de la disproportion des forces.
Reste une différence majeure avec la guerre d’Algérie : contrairement à aujourd’hui, nul ne risquait jadis d’être poursuivis par des tribunaux pénaux internationaux et taxés de criminels de guerre. Dès lors, le défi qui se pose pour les armées conventionnelles de l’OTAN qui affirment se battre « pour la démocratie et contre le terrorisme », c’est d’utiliser leur puissance de feu, sans pour autant franchir les bornes du droit de la guerre. Pour limiter les risques, l’armée américaine fait désormais largement recours à ses juristes pour évaluer la légalité des cibles. Simultanément, depuis plusieurs années, les réflexions se multiplient au sein des cercles militaires sur le « risque judiciaire ». Quant à l’armée israélienne, elle tire profit pour trouver de nouvelles solidarités. C’est dans ce contexte qu’en février dernier, l’avocat général de l’armée israélienne, Danny Efroni, a organisé une conférence avec des hauts gradés venus de 14 pays pour échanger sur le droit international et les moyens de « la lutte anti-terroriste ».
D’autant que les critères pratiques pour définir ce qui constitue des bombardements indiscriminés et un usage disproportionné de la force ne sont pas toujours clairs. L’affaire Gotovina est un exemple frappant de deux jugements contradictoires donnés par le même tribunal international pour l’ex-Yougoslavie. En première instance, le général croate a été condamné par cette Cour à 24 années de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Nul ne niait l’existence de victimes civiles serbes, mais le point décisif était de savoir si des bombes qui tombaient loin de l’objectif militaire constituaient un crime de guerre. Lors du premier verdict, les juges ont répondu positivement, estimant qu’un obus qui tombe à plus de 200 mètres de la cible constituait potentiellement un crime de guerre. La Cour d’appel rejeta ce critère mathématique, estimant qu’il n’était pas judicieux.
Ce sera donc aux juges de la CPI – s’ils décident de se saisir de la situation de Gaza - de mieux préciser ce qui constitue des bombardements indiscriminés. Mais le feront-elles ? Il faudrait d’abord que la Cour s’estime compétente. Or, les autorités israéliennes feront valoir qu’elles ont ouvert leurs propres enquêtes et que le principe de la complémentarité s’applique. De surcroît, les juges de la CPI auront-ils le courage d’aborder une affaire qui touche aussi la conduite des hostilités des armées des gouvernements, membres de l’Alliance atlantique ? C’est-à-dire des pays qui sont, par ailleurs, les plus forts soutiens de l’existence et de l’action de cette même Cour ? Ce sera un nouveau test de l’indépendance de la Cour.