Le Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI) a inauguré le 4 octobre une exposition virtuelle qui illustre la souffrance des enfants pendant le génocide au Rwanda en 1994 et pendant les conflits dans les pays de l’ex‑Yougoslavie dans les années 90. Intitulée "les enfants dans les conflits armés – Éléments de preuve provenant des archives des Tribunaux pénaux internationaux", l’exposition montre que les enfants ont été souvent intentionnellement visés et victimes d’actes de violences sexuelles ou de torture, de persécutions, de transferts forcés, d’assassinats et de meurtres, ainsi que d’exterminations pendant les conflits armés au Rwanda et dans les Balkans. Pour le cas du Rwanda, le correspondant de JusticeInfo.Net à Kigali a s’est entretenu avec Valérie Mukabayire, présidente de l’Association des veuves du génocide (AVEGA –Agahozo)
JusticeInfo: Combien d'enfants environ ont été tués pendant le génocide perpétré contre les Tutsis en 1994?
Mme Mukabayire: Le génocide perpétré contre les Tutsis en 1994 environ a fait plus d’un million de morts, exactement 1.074.017 personnes tuées, selon les statistiques du ministère rwandais de l’Administration locale. Dans l'ensemble, les enfants et les jeunes âgés de moins de 24 ans constituent le gros des victimes, avec une proportion de 53,7%. Même s’il est difficile d’établir la proportion garçons-filles, l’on se souvient du fait que, comme un mot d’ordre, les garçons étaient les plus traqués à tel enseigne que certains étaient habillés comme des filles pour bénéficier d’un jour de plus de sursis.
Les enfants sont inoffensifs. Pourquoi étaient-ils visés ?
L’extermination de l’ethnie Tutsi a été planifiée à travers toute une idéologie bien élaborée et bien enseignée, et dont le « bourreau » s’était bien imprégné. Par ailleurs, la victime était bien identifiée comme « tutsi » et tout ce qui lui était apparenté ou lui ressemblait. « Qui tue un serpent ne doit pas épargner son œuf » ! Ce refrain de la mort relayé par les médias de la haine encourageait ainsi les miliciens Interahamwe à tuer même des enfants, en faisant valoir que même les très jeunes pouvaient constituer une menace dans l’avenir. Paul Kagame et Fred Rwigema, les commandants militaires du FPR, n’avaient-ils pas fui le pays au dos de leurs mères ? répétaient-ils, regrettant de les avoir laissé s’enfuir à l’étranger.
Combien environ souffrent aujourd’hui de traumatismes physiques ou psychiques?
Même si les statistiques ne sont pas disponibles, 23 ans après le génocide, un grand nombre de survivants vivent encore hantés par l’horreur, et souffrent de troubles psychologiques. Et comme tout le monde à l’approche de la date anniversaire du déclenchement du génocide, les nuits de ces enfants, aujourd’hui adultes, sont toujours peuplées des reviviscences de l’horreur traduites par des cauchemars,… Des filles et des garçons ont été mutilés, blessés, des filles ont été violées aux barrages érigés par les milices de jeunes Interahamwe, certaines ont été retenues captives et forcées d’accepter des relations sexuelles en échange d’une protection temporaire contre les agissements des miliciens et de l’armée. Ainsi, encore enfants, leurs corps et leurs esprits ont été mutilés, humiliés et marqués à jamais. Aujourd’hui, la violence de l’abominable se traduit encore à travers quelques cas d’addiction à la drogue, à la prostitution…le mal-être à l’excès ! Le plus à craindre est qu’aujourd’hui une forme de traumatisme psychologique se transmet aussi aux jeunes nés même après le génocide.
A part viols et séquestrations, quels autres sévices les enfants-ils subis pendant le génocide ?
Le viol ayant été pris comme une arme de guerre, d’humiliation, même les enfants non pubères ont été violés, torturés, traumatisés et insultés, terrorisés. Ils ont vu des scènes horribles : leurs pères, mères, frères et sœurs violés et tués en leur présence. Certains de ces enfants ont eu eux-mêmes leurs organes génitaux mutilés. Ils ont parcouru à pied de trop longues distances, réduits qu’ils étaient à marcher même de nuit pour tenter d’échapper à la mort. A part, la mort, la torture et l’humiliation, plusieurs enfants ont été séquestrés et réduits en esclavage soit par des miliciens, des étrangers, des familles d’accueil et même par des membres de famille.
Le mémorial de Ntarama (ndlr : ancienne église de Ntarama, à l’est de Kigali) est l’un de ceux qui gardent l’horreur infligée aux enfants. Sur un des murs du mémorial, à un mètre du sol, une large tache rouge indélébile garde toujours le sang des enfants dont les têtes étaient fracassées contre les murs.
Comment vivent-ils aujourd’hui ce douloureux passé ?
Très brutalement, la chaleur familiale avait fait place à l’esseulement. Et très brutalement, ces enfants ont été sevrés de tout : d’amour, d’aisance, de candeur, d’humanité. Ainsi, après le génocide, plus de cent mille (100.000) enfants s’étaient retrouvés sans parents, dans des orphelinats, dans des familles d’accueil, et, qui pis est, les plus âgés ont été contraints d’élever leurs petits frères et sœurs. Sans logement et sans biens, pour la plupart des cas, certains ont été contraints de travailler comme domestiques, d’autres comme « vendeuses de sexe » pour leur propre survie et celle de leurs frères et sœurs.
Mais, au lendemain du génocide le gouvernement rwandais a mis sur pied et à leur disposition un fonds pour l’assistance des rescapés du génocide (FARG) pour leurs études, leurs soins de santé ainsi que leur abri. Aujourd’hui, certains se sont refait une vie. Les besoins demeurent cependant immenses et la question reste d’une très grande complexité.
Et quel rôle a joué votre association, AVEGA, pour redonner de l’espoir à ces enfants ?
Des membres d’AVEGA ont accueilli chez elles et élevé certains enfants orphelins du génocide. L’association a contribué aussi pour les études de quelques enfants et aussi pour retrouver les biens laissés par leurs parents. Mais une fois encore, nos efforts n’ont été qu’une goutte dans l’océan.