Burkina Faso : quatre questions sur l'assassinat du Président Sankara

Burkina Faso : quatre questions sur l'assassinat du Président Sankara©AHMED OUOBA / AFP
Cérémonie à Ouagadougou le 15 octobre commémorant l'assassinat du Président Sankara
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C’était il y a trente ans. Un jeudi, à 16h30, au Conseil de l’entente, le cœur du pouvoir révolutionnaire. Ce jeudi noir du 15 octobre 1987, le Président Thomas Sankara, qui mène l’expérience révolutionnaire depuis son coup d’Etat du 4 aout 1983, est assassiné avec douze de ses compagnons. Une heure plus tard, le coup d’Etat se confirme. Le nouveau régime, le Front populaire est installé. A sa tête, Blaise Compaoré. Le frère d’armes et ami de longue date de Thomas Sankara devient le nouveau Président du Faso.

 Il aura fallu attendre mars 2015 pour qu’une enquête judiciaire soit enfin ouverte au Burkina Faso. Au cœur de cette procédure judiciaire majeure, une question centrale : qui sont les commanditaires de l’assassinat du héros de la révolution burkinabè ? Trente ans après la mort du Capitaine, le point sur l’enquête, en quatre questions.

 Qui est mis en cause dans cette affaire ?

 Dans ce dossier géré par la justice militaire burkinabè, une quinzaine de personnes sont inculpées, la plupart pour « assassinat, recel de cadavre, complicité de ces infractions ou de faux en écriture publique ou authentique », avait précisé Alioune Zanré, le procureur du tribunal militaire, en décembre dernier. Deux mandats d’arrêts internationaux ont été lancés. Ils visent les deux principaux suspects. Le premier n’est autre que l’ancien Président Blaise Compaoré, réfugié en Côte d’Ivoire depuis sa chute au lendemain de l’insurrection populaire d’octobre 2014. Dans cette affaire, celui que les Burkinabè surnomment désormais « Blaise l’Ivoirien » est poursuivi pour « complicité d’attentat, d’assassinat et complicité de recel de cadavre ». Le second se nomme Hyacinthe Kafando. Il est le présumé chef du commando du 15 octobre, six militaires burkinabè du Centre national d’entraînement commando de Pô (CNEC), dirigé à l’époque par le bras droit de Blaise Compaoré, le général Gilbert Diendéré, également inculpé dans ce dossier.

 

Où en est la procédure judiciaire ?

 

Depuis l’ouverture de l’enquête en mars 2015, une centaine de personnes ont été entendues par le juge d’instruction, François Yameogo. « En ce qui concerne l’investigation, au plan interne, tous ceux qui sont directement impliqués dans cet assassinat ont été entendus, à l’exception évidemment de Hyacinthe Kafando et de Blaise Compaoré, précise maître Ambroise Farama, un des avocats de la famille de Thomas Sankara. Le juge d’instruction est désormais entré dans une seconde phase, il s’agit des investigations destinées à déterminer les commanditaires du 15 octobre. »

 

Avec l’enquête sur la répression de l’insurrection populaire d’octobre 2014 et celle sur le coup d’Etat manqué de septembre 2015, cette enquête est l’un des dossiers les plus attendus par les Burkinabè. Il aura fallu attendre la chute du régime de Blaise Compaoré, en octobre 2014, pour qu’une enquête soit enfin ouverte, 28 ans après les faits.

 

Pourquoi les présumées dépouilles n’ont-elles toujours pas été identifiées ?

 

Avec la désignation des commanditaires de l’assassinat de l’ancien Président, c’est l’autre gros mystère de cette affaire extraordinaire. Depuis l’exhumation des corps le 25 mai 2015, deux expertises ont été lancées. Une première, effectuée par un laboratoire français, affirmera que les analyses pratiquées sur les présumées dépouilles, enterrées à la va-vite au cimetière ouagalais de Dagnoën, n’ont pas permis de détecter de traces d’ADN. Une contre-expertise est alors demandée par le juge. En juin 2016, le laboratoire commissionné, celui de l’Institut de médecine légale de l’université de Santiago, en Espagne, aboutit aux mêmes conclusions : « aucun profil génétique » n’a pu être trouvé. « Ce sont les conditions de conservation des corps qui fait qu’aujourd’hui, il est difficile de pouvoir trouver des éléments d’ADN, explique maître Ambroise Farama. La tombe la plus profonde était à environ 55 centimètres du sol, les corps étaient pratiquement exposés aux effets du vent, du soleil et de la pluie. »

 

Cette absence d’ADN constitue-t-elle un frein à l’avancée de la procédure judiciaire ?

 

« Cette recherche infructueuse d’ADN ne fait pas obstacle à l’instruction du dossier, c’est totalement dissocié », souligne maître Bénéwendé Sankara, l’un des autres avocats de la famille de Thomas Sankara. D’autant qu’un autre processus d’identification, visuel cette fois-ci, a déjà permis aux familles des victimes d’identifier les présumées dépouilles. « Des objets qu’on a retrouvé dans les tombes, des pièces d’identité et des vêtements que portaient ce jour-là les victimes ont été reconnus », ajoute l’avocat. L’expertise balistique a aussi permis de constater que le présumé corps de Thomas Sankara était « criblé de balles ». Les familles vont-elles demander une nouvelle expertise scientifique pour identifier les présumées dépouilles ? Pour l’heure, elles n’ont, selon leurs avocats, pas encore tranché. Les corps sont donc toujours sous scellée entre les mains de la justice militaire.