C’est une des affaires les plus attendues de l’histoire judiciaire du Burkina Faso. Le scénario, fin mélange de coup d’Etat et d’intérêts internationaux, est digne d’un roman noir. Il y a trente ans, l’ancien président Thomas Sankara était assassiné avec douze de ses compagnons au Conseil de l’Entente. En mars 2015, une enquête judiciaire s’est ouverte pour tenter de déterminer les responsables de la mort du héros de la révolution du Burkina Faso. Bruno Jaffré, le biographe de Thomas Sankara, revient sur la recherche de vérité dans ce procès historique.
JusticeInfo.Net : Cela fait plus de deux ans que les experts médico-légaux cherchent, en vain, des traces d’ADN sur la présumée dépouille de Thomas Sankara. Que pensez-vous de cette absence de résultats ?
Bruno Jaffré : La question de l’ADN n’est pas liée à la procédure judiciaire. C’est une demande des familles. Certains de leurs avocats ont précisé qu’une autre forme d’identification, visuelle, avait permis de confirmer qu’il s’agissait bien des corps enterrés. Mais toutes les familles des victimes ne sont pas d’accord sur ce point. Certaines ont jugé cette identification visuelle insuffisante. Dans tous les cas, la question de l’identification des corps est dissociée de celle de la justice. Cela n’empêche pas le jugement. Mais il y a effectivement une question que tout le monde se pose autour de cette absence de résultats ADN, celle de savoir pourquoi les deux cabinets n’ont-ils pas pu trouver d’ADN ? Il faut qu’ils donnent une réponse, pour clarifier les choses. J’espère que cela va venir bientôt.
Il a fallu attendre la chute du régime de Blaise Compaorépour qu’une enquête s’ouvre, en mars 2015.Deux ans et demi plus tard, le procès n’a toujours pas été ouvert. Faites-vous parti de ceux qui dénoncent une procédure judiciaire qui patine ?
Non. Pour moi, ça ne patine pas. J’ai entièrement confiance dans le juge. Il a bouclé l’enquête. La lenteur est un signe plutôt positif. S’il n’avait pas la volonté d’investiguer sur une éventuelle responsabilité de la France dans cette affaire, sur l’existence d’un complot international, il ouvrirait le procès demain. Cela répondrait à l’impatience de la population mais il ne faut pas oublier qu’une affaire ne peut être jugée qu’une fois. Le juge a lancé une commission rogatoire et demandé à la France une levée du secret défense, en octobre 2016. Cela montre qu’il pense qu’il y a quelque chose à chercher. Mais il y a eu des promesses du gouvernement Hollande, disant qu’il allait satisfaire cette demande.
Lesquelles ?
Lorsque Claude Bartolone (ndlr. alors président de l’Assemblée nationale française), est venu à Ouagadougou en mars dernier, la première question qui lui a été posée était sur cette levée du secret défense. Il a dit que la France se devait de répondre favorablement aux demandes de la justice burkinabè. Or gouvernement n’a pas encore répondu. Probablement est-il en train de traiter le dossier. On l’espère pour lui car le Président français EmmanuelMacron vient à Ouagadougou en novembre. S’il n’y a pas de réponse d’ici là, cela posera un problème pour son voyage…
Les demandes d’ouverture des archives sur l’affaire Sankarane datent pas d’hier. La première requête a été formulée en 2009. Huit ans plus tard, il n’en est rien. Comment interprétez-vous cette absence de réponse ?
Je ne fais pas partie de ceux qui ont la certitude que la France est impliquée dans cette affaire. Il n’y a pas de preuve. Mais il y a un faisceau d’indices qui fait qu’au minimum, il faut chercher la vérité et ne pas faire semblant. Quand j’ai appris que le juge avait lancé une commission rogatoire, j’ai senti qu’on avait fait un grand pas en avant, mais aussi que nous allions nous heurter à des refus. J’ai contacté des cas emblématiques en France, touchés par des refus de levée du secret défense pour que nous nous rassemblions. Nous venons de créer un collectif, il y a un mois.
Que réclamez-vous, à travers ce collectif ?
Nous demandons que cesse le mensonge d’Etat. Il faut qu’il y ait une réforme du secret défense en France. C’est ce que nous réclamons. Cette réforme est nécessaire car il faut que le secret défense soit géré autrement. Pour l’instant, le ministre de la Défense a la main dessus, l’Etat avance toujours l’argument de la sureté nationale, alors que certains cas n’ont aucun rapport avec ça. Ils ont un rapport avec l’Histoire de France. Celle que l’Etat ne veut pas dévoiler au public pour que les citoyens restent de bons patriotes, mais à partir d’idées fausses.