L’annulation de l’élection présidentielle kényane d’août dernier a plongé dans l’incertitude ce pays d’Afrique de l’Est encore traumatisé par les violences post-électorales de 2007-2008 qui avaient fait plus de 1 000 morts et des centaines de milliers de déplacés.
« Le Kenya a connu une année difficile et il semble que la situation va s’aggravant », commente Robert Shaw, analyste économique. « Le pays est dangereusement polarisé et exténué, ce qui constitue un cocktail mortel. Il y a de plus en plus de déclarations inflammatoires qui risquent de nous faire revivre les jours sombres et terribles de la violence post-électorale de 2007-2008 ».
Pour lui, les dividendes de la nouvelle constitution votée il y a 7 ans, risquent de partir en fumée. La paix, la tolérance et l’harmonie sociale sont sérieusement menacées, selon Robert Shaw.
Entrée en vigueur en 2010 pour remplacer celle qui régissait le pays depuis son indépendance de la Grande Bretagne en 1963, la nouvelle constitution consacre l’indépendance du système judiciaire, constitue le socle de la lutte contre l’impunité, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance.
L'annulation de l'élection par la Cour suprême
Lorsque la Cour suprême a annulé, le 1er septembre, l’élection du 8 août, dont le président sortant Uhuru Kenyatta venait d’être déclaré vainqueur, le Kenya a été salué comme un modèle de démocratie et d’indépendance judiciaire sur le continent.Invoquant des irrégularités notamment dans la publication des résultats, la plus haute instance judiciaire du Kenya, a notamment reproché à la commission électorale (IEBC) d’ avoir proclamé la victoire de M. Kenyatta, avec 54,27% des voix, sur la foi de procès-verbaux à l'authenticité douteuse émanant de plusieurs circonscriptions du pays et sans avoir de surcroît vérifié l'ensemble des procès-verbaux des bureaux de vote.
Un nouveau scrutin a été fixé au 26 octobre, exacerbant les tensions entre le camp du président Kenyatta, candidat du parti Jubilee, et celui de son principal adversaire Raila Odinga, champion de la National Super Alliance (NASA). La tension est encore montée d’un cran lorsque Raila Odinga a annoncé, à deux semaines de la nouvelle élection, son retrait de la course, arguant que ses exigences n’avaient pas été prises en considération. Le leader de la NASA estime que son retrait devrait entraîner l’organisation d'un tout nouveau processus électoral, ce dont Kenyatta refuse d’entendre parler.
LA NASA a alors mobilisé ses partisans pour exiger, à travers des manifestations, le remplacement de tous les membres de la commission électorale et l’attribution à de nouvelles compagnies des travaux d’impression des bulletins de vote. Ces manifestations, souvent violemment réprimées par la police, ont ravivé le spectre des violences inter-ethniques de fin 2007- début 2008.
L’invalidation par la Cour suprême de la réélection du président Uhuru Kenyatta est une décision sans précédent. Jamais auparavant, aucune cour de justice n’avait invalidé l’élection d’un président au Kenya. Alors qu’il avait au départ accepté la décision, Uhuru Kenyatta a par la suite initié des amendements constitutionnels pour selon lui, « protéger la volonté souveraine des Kényans, exercée à travers leurs représentants élus ».
Ainsi, en procédant le 12 septembre, à l’ouverture de la nouvelle législature, il a appelé les parlementaires « à défendre la Constitution », ajoutant que les élections « ne sont pas que des compétitions entre deux personnes mais un moment sacré au cours duquel des millions de Kényans transfèrent leur volonté souveraine à un dirigeant de leur choix ». Uhuru Kenyatta s’adressait en fait aux députés de sa famille politique, puisque les élus de la NASA avaient boycotté la séance.
Amendements de la loi électorale
Le Parlement dominé par le parti Jubilee du président Kényatta a donc accéléré l’adoption d’amendements de la loi électorale pour tenter de contourner la décision de la Cour suprême. Mais cette démarche a été critiquée, non seulement par l’opposition, mais aussi dans les rangs du parti au pouvoir.
« Les meilleures lois ne sont pas votées en temps de crise », a averti Mithika Linturi, sénateur du Jubilee. Les meilleures lois requièrent la participation et la négociation avec toutes les personnes de bonne volonté, dans une atmosphère de confiance mutuelle ».
« Nous croyons que nous avons gagné cette élections mais, si vous vous voulez faire une loi en l’absence de l’autre parti, nous serons en train de commettre une grave erreur », a estimé le sénateur.
Malgré cela, les amendements ont été votés, prévoyant notamment que le porte-parole de la Commission électorale peut déclarer un candidat élu vainqueur de l'élection présidentielle avant que toutes les circonscriptions n'aient transmis leurs résultats, si la commission estime que les résultats qui n'ont pas été reçus n'affecteront pas le résultat de l'élection.
Mais, dans une décision rendue le 17 octobre, suite à une requête de la Commission électorale, la Cour suprême a affirmé qu’il était du devoir du chef de la Commission de vérifier l’exactitude des résultats, mais que si des incohérences apparaissaient, il ne pouvait pas les corriger lui-même et devait s’en remettre à cette haute instance judiciaire.
Cette décision limite la possibilité de falsification des résultats au sein de la Commission électorale et vient renforcer le contrôle de la Cour suprême sur l’intégrité du scrutin.
C’est dans ce contexte que l’un des sept membres de la Commission électorale, Roselyn Akombe, a annoncé le 18 octobre sa démission, accusant ses collègues de partialité politique.
Dernier rebondissement en date alors que Raila Odinga n’a pas encore formalisé son retrait de la course.