La Cour pénale spéciale chargée de juger les principaux responsables des crimes les plus graves commis sur le territoire centrafricain depuis 2003, “va devoir opérer dans un environnnement très difficile”, estime Thierry Vircoulon,enseignant à Sciences-Po et chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Dans un entretien avec JusticeInfo.Net , à l’occasion de la visite à Bangui du secrétairegénéral de l’ONU qui s’achève ce vendredi, Vircoulon estime que “de nombreux acteurs en Centrafrique et hors de Centrafrique ont intérêt à ce qu'elle ne fasse pas son travail ou qu'elle fasse son travail de manière biaisée et partisane”.
JusticeInfo.Net: A la faveur du dernier remaniement ministériel, des représentants des groupes armés sont entrés au gouvernement. Y aurait-il eu des pressions en ce sens sur le président Touadera?
Thierry Vircoulon: Le remaniement ministériel est intervenu juste avant la visite (ndlr, du président Touadera) à New York, ce qui laisse penser que ce remaniement était suggéré par les Nations Unies. Mais,il ne changera rien au comportement des groupes armés sur le terrain. La stratégie de la cooptation a déjà été pratiquée d'innombrables fois en Centrafrique avec des rébellions et des opposants armés avant la naissance de la Seleka (ndlr, une coalition rebelle qui a renversé le président François Bozizé en 2013) et cela n'a jamais fonctionné plus longtemps que quelques mois. L'histoire centrafricaine montre que cette stratégie n'est pas la solution de la crise et que ceux qui la poursuivent ignorent l’histoire de ce pays.
Pensez-vous que le gouvernement centrafricain soutienne vraiment la mise en place de la Cour pénale spéciale?
La Cour pénale spéciale va devoir opérer dans un environnement très difficile et pas seulement à cause du gouvernement. De nombreux acteurs en Centrafrique et hors de Centrafrique ont intérêt à ce qu'elle ne fasse pas son travail ou qu'elle fasse son travail de manière biaisée et partisane. Si elle veut être véritablement indépendante, elle va devoir lutter contre le jeu des influences qui accompagne déjà sa création et vise à l'instrumentaliser. La gestion politique de la Cour pénale spéciale va être un vrai défi pour deux raisons: premièrement, le conflit n’est pas terminé, il ne s’agit donc pas de justice post-conflit mais de justice dans le conflit, cela signifiera de nombreuses interférences politiques dans le processus judiciaire; deuxièmement, la plupart des suspects déjà en detention sont des anti-balaka (nldr, milice créée comme une riposte à la Seleka) et une partie de l'élite de Bangui a des sympathies pour eux. Il est important que ceux qui soutiennent la Cour pénale spéciale gardent cela à l'esprit et que les magistrats n'ignorent pas qu'ils arrivent dans un terrain miné.
Quel bilan dressez-vous de cette première année de la présidence de Touadera ?
La population centrafricaine et les ONG centrafricaines sont déjà très désenchantées par cette première année qui s'achève par une nouvelle flambée de violence et la progression/fragmentation des groupes armés. Il est significatif que les groupes armés ne luttent pas contre le gouvernement mais entre eux et parfois contre les Casques bleus car le gouvernement n'est pas un acteur sécuritaire en RCA et ne constitue donc pas un danger pour eux. Après les élections de 2016, les attentes de la population étaient irréalistes tout comme d’ailleurs les promesses de campagne électorale. Depuis un an, le nouveau gouvernement n'a pas démontré sa capacité de changement. Bien au contraire, il incarne la continuité des mauvaises pratiques du passé qui ont conduit le pays là où il se trouve actuellement. Ce gouvernement ressemble aux précédents gouvernements depuis les années 90. La difference est qu'il évolue maintenant sous le parapluie de la MINUSCA qui n'est pas stricto sensu responsable de ses agissements mais qui sera associée à son échec aux yeux de la population et de l'opposition armée ou non. Cela d'autant plus que le président Touadéra ne se déplace en province qu'avec la logistique et la protection de la MINUSCA et qu'il bénéficie de l'appui de certains cadres de l'ONU.
L’image des Casque bleus, en Centrafrique et ailleurs, est aujourd’hui notamment ternie par des accusations de viols, de trafic de minerais,... Comment remédier à cette situation?
La solution échappe largement au pouvoir du seul secrétaire général de l'ONU. Il s'agirait d'améliorer la qualité des contingents des casques bleus. Or, l'ONU n'a aucune marge de manoeuvre dans ce domaine. La demande de Casques bleus en RCA (plus de 900 hommes) est supérieure à l'offre. Comme la Centrafrique ne présente que peu d'intérêt pour les autres puissances, les pays qui sont prêts à y envoyer des casques bleus sont peu nombreux et c'est un euphémisme. Si certains pays européens envoient des contingents dans la MINUSMA au Mali, c'est au nom de la lutte contre le djihadisme. Pas au nom de la paix dans le monde. Alors que la MINUSCA confesse ne pas avoir suffisamment de troupes avec 12 000 hommes pour faire face aux groupes armés qui se combattent depuis le mois de mai. En d’autres termes, elle prendra ce qu’on lui donnera si on lui donne quelque chose à l’issue des négociations financières à New York.