Temps fort de sa visite en Centrafrique, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a rencontré mercredi Casques bleus et populations déplacées à Bangassou (sud-est), ville mise en coupe réglée par les miliciens et où il a fustigé ces groupes armés "criminels" qui veulent faire du pays "un enfer".
Arrivé à la mi-journée à Bangassou, à 700 km à l'est de la capitale, où il a été accueilli avec sa délégation par le préfet fraichement nommé, le patron de l'ONU s'est rendu au camp de la force onusienne, la Minusca, où il a déposé une gerbe et observé une minute de silence en hommage aux Casques bleus tués dans l'exercice de leur mission.
Guterres a déclaré être venu "ici pour exprimer (sa) gratitude, (sa) solidarité et (son) admiration. Vous faites un travail d'un courage extraordinaire, je suis fier d'être votre collègue", a-t-il lancé aux soldats de la paix, se disant "conscient des difficultés d'une opération de maintien de la paix avec des ressources limitées".
C'est à Bangassou que neuf Casques bleus ont été tués entre mai et juillet, et où ces mêmes Casques bleus - gabonais, marocains et sénégalais notamment - tentent aujourd'hui de prévenir l'attaque par les antibalaka (antimachettes) d'un peu moins de 2.000 déplacés musulmans qui ont trouvé refuge dans un séminaire catholique local.
Les 35.000 habitants de cette ville à majorité chrétienne, frontalière de la RD Congo, vivent depuis mai sous le joug des miliciens antibalaka, prétendant défendre la minorité chrétienne, contre les groupes armés peuls et musulmans actifs dans les localités environnantes.
Sous la protection des Casques bleus et un soleil de plomb, le secrétaire général a visité le camp des déplacés, dialoguant avec quelques-uns.
"Je suis profondément ému de voir votre souffrance", leur a-t-il déclaré. "Malheureusement ce n'est pas unique ici à Bangassou, il y a des milliers d'autres Centrafricains qui ont dû fuir".
La RCA est un pays "qu'un groupe de criminels essaie de transformer en enfer", a lancé M. Guterres. "Je sais que c'est difficile de parler de réconciliation quand on a souffert. Mais la seule solution, c'est la réconciliation, avec notamment la justice (...). On ne va pas faire des miracles, tout ça va prendre du temps. Je vous demande de la résilience", a-t-il ajouté, sous les applaudissements des déplacés.
- 'Prison à ciel ouvert' -
"Notre appartenance (religieuse) est un prétexte pour nous condamner à la mort et nous expulser de la terre de nos aïeux. Nous avons l'impression d'être dans une prison à ciel ouvert", a répondu l'un des représentants des déplacés.
Cette visite "est un signe d'espoir (...). Peut-être que les choses vont changer et qu'on pourra sortir et vivre, enfin", a commenté Mariam, 24 ans, un bébé dans les bras.
La tension s'est notablement accrue ces derniers jours dans la ville, à mesure que s'est intensifiée la "guerre" dans la région entre antibalaka, pilotés depuis Bangassou, et l'Union pour la paix en Centrafrique (UPC), un groupe peul. Des affrontements ont eu lieu à Kembé et Pombolo notamment ces dernières semaines, qui ont fait des dizaines de victimes, selon des sources onusiennes.
Arrivé mardi à Bangui, pour sa première visite à une mission de paix de l'ONU depuis sa prise de fonctions en janvier, M. Guterres avait appelé le soir même la communauté internationale à mobiliser davantage de "ressources et de capacités pour aider la République centrafricaine".
Il a plaidé pour un renforcement de 900 Casques bleus de la mission de l'ONU dans le pays, la Minusca, forte actuellement d'un peu plus de 12.500 hommes. Cette demande doit encore être actée par le Conseil de sécurité de l'ONU, qui renouvelle en novembre le mandat de la mission.
"Il nous faut renforcer la dimension et les capacités" de la Minusca et oeuvrer à une "solidarité active" avec Bangui, a-t-il martelé mercredi matin, après un entretien avec le président centrafricain Faustin Archange Touadéra.
La visite du secrétaire général intervient dans un contexte sécuritaire tendu en Centrafrique, presque un an après le départ de la force française Sangaris: si la capitale reste épargnée par les violences, groupes armés et autre milices "d'autodéfense" ont repris leurs affrontements et commettent des massacres à grande échelle dans le sud-est, dans le centre et dans le nord-ouest, faisant des centaines de morts parmi les populations civiles.
La visite de M. Guterres est également un message politique fort, à un moment où les critiques pleuvent sur la mission de l'ONU.
Accusés par leurs détracteurs de "passivité" et parfois même de "parti pris" (cette accusation visant plus particulièrement les militaires marocains à Bangassou), les contingents onusiens font aussi face à une avalanche d'accusations d'agressions sexuelles (renvoi du contingent congolais en juin: plus de 600 soldats).
A son retour de Bangassou, le secrétaire général devrait rencontrer des victimes d'abus sexuels et leurs familles.