Le 30 octobre, un tribunal des Pays-Bas ouvrira le procès d’Eshetu Alemu, un ancien membre du régime de Mengistu Hailemariam en Ethiopie. L’homme de 63 ans est poursuivi pour crimes de guerre, torture et séquestrations. Le procès devrait durer deux semaines.
Le procès qui s’ouvrira le 30 octobre devant le tribunal de première instance de La Haye se déroule quarante ans après les faits. L’homme qui comparaitra dans le box des accusés doit répondre de quatre chefs d’accusation de crimes de guerre pour détention arbitraire et traitements cruels et crime de torture. Son acte d’accusation désigne nommément 321 victimes. Et revient sur deux faits en particulier. En août 1978, Eshetu Alemu, l’un des responsables du régime communiste d’alors dans la région de Godjam, une ancienne province au nord-ouest de l’Ethiopie, aurait ordonné l’exécution de 75 jeunes prisonniers. Tués dans une église, leurs corps auraient ensuite été jetés dans une fosse commune. Il aurait aussi, au cours de la même période, séquestré 240 personnes, « dans de petites pièces » selon le ministère public, « où il n’y avait presque pas de lumière du jour. » D’autres auraient été torturés. Selon des témoins, des éthiopiens vivant à l’étranger et dont seuls quelques-uns viendront déposer à La Haye, indique le tribunal dans un communiqué, « des victimes étaient ligotées et suspendues alors qu'elles étaient frappées avec des bâtons au visage et contre leurs pieds nus. » Hormis pour les potentielles victimes directes des crimes présumées, qu’elle peut-être la portée d’un tel procès, à des milliers de kilomètres de l’Ethiopie ? Pour Girmachew Alemu Aneme, professeur associé à l’université de droit d’Addis-Abeba, « il est important que les politiciens, d’hier et d’aujourd’hui, y compris ceux en Ethiopie, comprennent qu’ils ne peuvent pas commettre des crimes et se cacher ensuite en Europe et aux Etats-Unis pour échapper à la justice ». Interrogé par JusticeInfo, il ajoute qu’un tel procès « montre que, pour ceux engagés dans des exécutions politiques, passées ou présentes, et pour la société dans son ensemble, la justice sera rendue, même après de longues années ». Mais Hirut Abebe, victime de torture durant la « terreur rouge », se dit : « pas si optimiste ». « Les gens regardent aujourd’hui le présent. Pour une large partie de la population, la terreur rouge est de l’histoire ancienne », estime-t-elle.
Une condamnation par contumace
Ce n’est pas la première fois qu’Eshetu Alemu est confronté à la justice. Cet ancien membre du Dergue, le gouvernement mis en place après la révolution et le coup d’Etat de 1974 qui a renversé le régime impérial d’Hailé Sélassié, a été condamné par contumace à la peine de mort par un tribunal éthiopien pour avoir assassiné des opposants au régime. Une peine commuée ensuite à la prison à vie. Un an après la chute de Mengistu Hailemariam, le nouveau gouvernement éthiopien avait jugé près de 6000 responsables de l’ancien régime, planificateurs, subordonnés, et exécutants. Le bureau du procureur spécial (SPO) avait organisé des procès collectifs, dont celui de Mengistu. Le « Negus rouge », qui avait fui au Zimbabwe, bénéficiant de la protection de Robert Mugabe, a été condamné à la peine de mort pour génocide. Au cours des procès organisés en Ethiopie entre 1994 et 2008, le tribunal avait identité plus de 9000 morts, 1500 blessés et plus de 1600 victimes de torture. Mais le bilan total des victimes du régime Mengistu, dont celles de la « terreur rouge » (1974-1980), une violente campagne de contre-insurrection, s’élèveraient à plusieurs centaines de milliers. Aujourd’hui en exil, Hirut Abebe se rappelle, à l’époque, avoir témoigné contre son bourreau. « Justice a été rendue », dit-elle, et « le SPO doit être reconnu pour tout ce travail ». « Ces procès ont permis une rupture avec le passé », estime Girmachew Alemu Aneme. « Quand le Dergue est venu au pouvoir en 1974, il a sommairement exécuté 60 hauts représentants du gouvernement de l’empereur Hailé Sélassié. Parmi eux, l’ancien premier ministre Aklilu Habtewold, qui avait servi son pays pendant 30 ans. Le régime actuel a choisi d’établir le SPO et de poursuivre les membres du Dergue, contrairement à ce qu’avaient fait les prédécesseurs. En ce sens-là, la primauté du droit et les procès ont prévalu. Néanmoins, l’impact sur la façon dont la justice est maintenant rendue n’est pas clair. Les institutions judiciaires sont encore très faibles et il n’y a pas de garantie de non-répétition ». Depuis plusieurs mois, le nord-est de l’Ethiopie est l’objet de violences interethniques dans lesquelles plusieurs centaine de personnes auraient trouvé la mort, selon Addis-Abeba, qui assure conduire une enquête. Loin de tout cela, Eshetu Alemu quittera pour quelques heures sa cellule de la prison de Rotterdam, lundi matin. L’ancien responsable éthiopien, devenu citoyen néerlandais il y a plusieurs années, est en effet détenu en préventive depuis déjà deux ans.