Le collège de juges guinéens enquêtant sur le massacre, le 28 septembre 2009, de plus de 150 manifestants et le viol de 100 femmes par les forces de sécurité lors d’une manifestation pacifique ont terminé leur enquête le 9 novembre 2017, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Cela marque une étape déterminante très attendue afin que justice soit rendue aux victimes.
L’enquête nationale – qui a commencé en février 2010 – a ouvert de nouvelles perspectives dans la lutte contre l’impunité dans le pays, mais elle a progressé lentement sur fond d’obstacles politiques, financiers et logistiques. Au cours de l’enquête, les juges ont mis en examen des membres haut placés des forces de sécurité.
« La clôture de l’instruction sur le massacre et les viols de 2009 constitue une avancée majeure », a indiqué Elise Keppler, directrice adjointe du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Plus de huit ans après que les crimes ont été commis, la conclusion de l’enquête est un grand pas qui rapproche les victimes et les membres de leurs familles de la possibilité de voir justice rendue pour ces crimes. »
Plus de 14 suspects ont été inculpés, y compris des officiers et des ex-officiers de haut rang. Les suspects incluent Moussa Dadis Camara, l’ancien chef de la junte du Conseil national pour la démocratie et le développement qui gouvernait la Guinée en septembre 2009, et son vice-président, Mamadouba Toto Camara. Abubakar « Toumba » Diakité, l’aide de camp de Dadis Camara, a aussi été mis en examen et a été extradé vers la Guinée en mars dernier après être resté en liberté pendant plus de cinq années.
Les juges ont entendu le témoignage de plus de 450 victimes et membres de leurs familles et ont également interrogé des témoins, notamment des membres des services de sécurité. Dans l’affaire, la partie civile, qui permet aux victimes de participer à la procédure pénale, a facilité l’inclusion d’informations détaillées fournies par les victimes et leurs familles dans l’enquête. Cette action a été lancée par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, ainsi que par des associations de victimes et leurs avocats.
Selon le système judiciaire de la Guinée, le procureur dispose maintenant d’un mois pour étudier le dossier préparé par les juges d’instruction et proposer tout changement. Les juges examineront ensuite les suggestions du procureur et prendront les décisions finales, qui incluent les suspects, le cas échéant, qui devraient être jugés et les chefs d’accusation retenus contre eux. Le procureur peut former un recours contre la décision finale des juges d’instruction, après quoi les procès éventuels se tiendront devant la chambre criminelle du Tribunal de première instance de Dixinn.
La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert un examen préliminaire sur la situation en Guinée en octobre 2009 et a demandé instamment aux autorités guinéennes de garantir la progression de l’enquête. La CPI est conçue comme un tribunal de dernier ressort et intervient uniquement lorsque les tribunaux nationaux n’ont pas la capacité ou la volonté de mener des enquêtes et des poursuites sur des affaires qui relèvent de sa compétence.
Les procès des suspects pour les crimes du 28 septembre 2009 figureront probablement parmi les affaires les plus complexes et sensibles jamais jugées par les tribunaux guinéens. Des mesures pour garantir la protection et la sécurité des témoins, des victimes, des avocats de la défense, des juges et des autres membres du personnel travaillant sur l’affaire seront nécessaires. Les accusés devraient bénéficier du respect de toutes les normes internationales en matière de procès équitable et les autorités guinéennes devraient étudier la façon d’informer au mieux la population générale des avancées de l’affaire afin de maximiser son impact.
Plusieurs victimes et membres de leurs familles ont décrit l’espoir qu’ils ont ressenti après avoir appris que l’instruction arrivait à sa conclusion. Un homme de 52 ans, qui a été blessé et a perdu son entreprise dans les violences, a raconté : « J’ai mal depuis ce jour – mes blessures me font toujours souffrir. Je veux connaître la vérité et obtenir justice et réparations pour tout ce que j’ai perdu. » Une victime de violences sexuelles a expliqué : « La clôture de l’enquête me donne beaucoup d’espoir et je prie pour que nous connaissions bientôt la vérité dans l’affaire du 28 septembre 2009 ».
Un aspect, qui reste flou, est l’emplacement des fosses communes supposées contenir les corps d’environ 100 victimes qui manquent toujours à l’appel. Un homme dont le père est porté disparu depuis les violences de 2009 a indiqué à Human Rights Watch qu’il espère que la procédure judiciaire permettra enfin de localiser les restes de son père. « J’ai l’espoir qu’un jour la vérité sera connue et qu’enfin nous pourrons faire le deuil de mon père, qui est porté disparu depuis le lundi 28 septembre 2009 », a-t-il expliqué.
« La clôture tant attendue de l’instruction sur le 28 septembre 2009 donne l’espoir que la responsabilisation pour ces crimes sera enfin possible dans le système judiciaire national de la Guinée », a ajouté Elise Keppler. « Le gouvernement guinéen et ses partenaires internationaux devraient prendre des mesures pour s’assurer que les tribunaux disposent des ressources nécessaires pour juger ces affaires de manière équitable, avec une protection et une sécurité appropriées pour les personnes impliquées. »