Dix huit prévenus, dont le député provincial Frédéric Batumike, comparaissent depuis le 9 novembre devant la Cour militaire du Sud-Kivu, en itinérance à Kavumu, lieu des faits sous examen. Ces adeptes présumés de «Jeshi la Yesu (Armée de Jésus, en swahili) sont notamment accusés de crimes contre l’humanité pour avoir, selon le procureur, commis de manière systématique et généralisée, entre 2013 et 2016, des viols de masse contre 46 filles de Kavumu, âgées de 8 mois à 12 ans. D’ores et déjà, les avocats des parties civiles plaident pour la réparation des graves dommages corporels et psychologiques causés.
C’est vert vers 17 heures locales (15 heures GMT) que les juges de la Cour militaire sont arrivés à Kavumu, un village situé à 25 kilomètres au nord de Bukavu, la capitale régionale du Sud-Kivu. Des dizaines d’habitants et de nombreux acteurs de la société civile, dont des activistes des droits de l’homme, attendaient encore.
Mais c’est seulement, le lendemain, 10 novembre, que les débats ont vraiment commencé. Au terme de l’identification des prévenus, l’audience qui a duré de 9 heures à 15 heures, a été émaillée par une série d’exceptions soulevées essentiellement par la défense des accusés. Les avocats de la défense ont fait valoir l’immunité de Fréderic Batumike, compte tenu de son statut de député provincial, dénoncé le manque de clarté de certaines charges et mis en cause la compétence de la cour militaire. L’auditeur militaire et les avocats des parties civiles ont répliqué, point par point, à chacune de ces exceptions. Ils ont rappelé que les immunités de Fréderic Batumike avaient déjà été levées par l’Assemblée provinciale du Sud-Kivu et que, de surcroît, pour des crimes internationaux comme les crimes contre l’humanité, la qualité officielle ne pouvait du tout l’exonérer de poursuites pénales. Ils ont enfin affirmé que la cour militaire était belle et bien compétente, dès lors que les crimes ont été commis au moyen d’armes de guerre.
Les accusés risquent la peine maximale
Les avocats des parties civiles ont par ailleurs demandé des mesures de protection pour les victimes. Ces mesures comprennent entre autres la désignation des victimes et témoins par des noms de code pour préserver leur anonymat, le brouillage de leurs voix lors des auditions et les témoignages en vidéoconférence.
La Cour devait encore se prononcer sur ces exceptions et mesures et de protection.
Plusieurs acteurs locaux et internationaux qui suivent de près l’affaire de Kavumu considèrent, d’ores et déjà, le début de ce procès comme un tournant important dans la lutte contre l’impunité en République démocratique du Congo (RDC). «Ces enfants ont souffert et souffrent toujours de graves dommages. Nous sommes contents que ces faits qui étaient jadis considérés comme des cas isolés soient aujourd’hui pris au sérieux et considérés par le procureur comme des crimes contre l’humanité », se félicite Maître Charles Cubaka Cicura, porte-parole du Collectif des avocats des victimes.
Pour Daniele Perissi, responsable du programme RDC à Trial International, une Ong de droit suisse, l’autre importance de ce procès est qu’il revêt un caractère pédagogique. « Le fait qu’un député provincial ait été privé de ses immunités démontre l’importance de l’application du principe que nul n’est au-dessus de la loi et que toute personne sera sanctionnée pour ces crimes », a estimé Daniele Perissi, interrogé par JusticeInfo.Net. « De manière plus large, nous espérons que la répression de ces atrocités enverra un message à tout acteur qui continue à commettre des exactions en RDC : toute personne sera sanctionnée si elle se rend responsable de crimes graves», a-t-il ajouté.
Selon la loi congolaise, les accusés risquent la peine capitale, dont l’application est cependant suspendue en RDC. De fait, la peine maximale est donc la prison à vie.
« Nous voudrions voir les préjudices réparés »
Mais ces Ong qui se sont battues, au côté des victimes, pour la tenue de ce procès historique, soulignent aussi la nécessité d’une réparation. Susannah Sirkin, directrice de plaidoyer et politique internationale à Physicians for Human Rights, une organisation américaine, dont l’expertise médico-légale a contribué à l’ouverture du procès, souligne que les 46 victimes souffrent toujours de graves dommages corporels à leurs organes sexuels et abdominaux affectant – parfois de manière permanente – leur santé reproductive ainsi que d'un profond traumatisme psychologique. «Il y a eu dans le passé des centaines des jugements qui ont été rendus en faveur des victimes des violences sexuelles ; malheureusement, ils n’ont jamais été exécutés, dès lors que les victimes ne reçoivent pas de réparations », fait-elle remarquer. « Cette fois-ci, nous voudrions voir les préjudices physiques et psychologiques réparés. Ce sont des très jeunes filles qui ont besoin d’éducation. Elles doivent aller à l’école. Il faudra donc des allocations financières pour faciliter leur réinsertion sociale», plaide Susannah Sirkin.