Le groupe de juristes du Sri Lanka Monitoring and Accountability Panel (MAP) exhorte la communauté internationale à faire pression sur le gouvernement du Sri Lanka pour qu’il honore ses engagements en matière de justice transitionnelle. Un rapport de ce groupe d’experts vient appuyer celui qui a été lancé le 15 novembre par l’organisation HumanRights Watch (HRW). Cette dernière a demandé au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU d’exiger du Sri Lanka des réformes assorties de délais en vue de garantir la justice s’agissant des crimes graves commis durant la guerre civile qui a pris fin en 2009.
Cette guerre, qui a opposé la majorité cinghalaise bouddhiste du sud à la minorité hindoue tamoule dans le nord et l’est, a fait au moins 40.000 morts, 280.000 déplacés et 65.000 disparus. En octobre 2015, le gouvernement du président MaithripalaSirisena s’était engagé devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à procéder à des réformes judiciaires, conformément la Résolution 30/1 du Conseil. Un délai additionnel de deux ans lui a été accordé en mars 2017. Mais, dans son rapport, le groupe d’experts MAP accuse le gouvernement sri lankais de mauvaise foi. JusticeInfo. Net a interrogé Richard Rogers, secrétaire et membre du MAP.
JusticeInfo.Net: Votre rapport indique que le gouvernement sri-lankais n’a pas fait de réels progrès en ce qui concerne ses promesses de justice transitionnelle. Pourquoi dites-vous cela ?
Richard Rogers : La résolution (du Conseil des droits de l’homme) prévoit quatre piliers – un Bureau pour les personnes disparues, les réparations, une commission vérité et une cour pénale spéciale. Le gouvernement sri-lankais a fait quelques progrès concernant un seul de ces piliers, et pratiquement rien pour les autres. Il a créé un Bureau pour les personnes disparues, qui, d’ailleurs, ne fonctionne pas comme cela avait été envisagé. Il manque d’indépendance et il est clair qu’il n’a pas la confiance de la communauté tamoule. Je pense donc que le gouvernement n’a pas fait de progrès pratiques pouvant apporter une réparation aux victimes de la guerre qui a pris fin en 2009. En plus de cela, il y a eu de nouvelles violations des droits de l’homme perpétrées par des acteurs gouvernementaux. Des rapports font état de nouvelles disparitions de personnes, de nouveaux cas de torture et il y a encore beaucoup de personnes détenues sans jugement, ou victimes de procédures judiciaires inéquitables, notamment en application de laloi sur la Prévention du Terrorisme. Ainsi donc, non seulement rien n’est fait, mais, pire encore, le nombre des violations des droits de l’homme augmente chaque semaine.
Vous appelez la communauté internationale à agir parce que vous doutez que la justice sri-lankaise puisse jouer son rôle. Quelles sont les recommandations spécifiques de votre panel ?
Ce que nous recommandons, c’est que des formes alternatives de justice soient mises en place comme une fin en soi mais aussi comme un moyen d’exercer une plus grande pression sur le gouvernement pour qu’il fasse quelque chose au Sri Lanka. Nous suggérons des poursuites judiciaires en dehors du Sri Lanka en application du principe de la compétence universelle pour juger dans des pays tiers les auteurs de violations des droits de l’homme. Il y a eu une recommandation du Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU en personne, qui était clairement exaspéré par le manque de progrès de la part du gouvernement sri-lankais.
Une autre solution, ce sont des sanctions du type Magnitsky. Il est possible dans certains pays de punir les auteurs des violations des droits de l’homme en utilisant le système administratif dans les pays occidentaux. Par exemple, un auteur des violations des droits de l’homme serait interdit d’entrer aux Etats-Unis, n’obtiendrait pas de visa ou serait expulsé s’il s’y trouve déjà, ses avoirs financiers seraient gelés et il serait interdit de l’utilisation du système financier des Etats-Unis pour son bénéfice. Il y a une législation similaire au Royaume-Uni et au Canada. Ces options sont particulièrement intéressantes pour les victimes et la société civile parce qu’elles ne demandent pas les ressources considérables souvent requises pour des procédures judiciaires.
Une autre option est de référer le Sri Lanka à la Cour pénale internationale. Mais, comme le Sri Lanka n’est pas partie au Statut de la CPI, cela exigerait une saisine par le Conseil de sécurité de l’Onu, et, bien-sûr, là, le défi c’est que les cinq membres permanents disposent du droit de veto, ce qui veut dire que si la Chine ou la Russie ou les Etats-Unis décident d’opposer leur veto, ce serait la fin de l’affaire. Dans le contexte politique actuel, il est très improbable que le Conseil de sécurité puisse déférer le dossier du Sri Lanka à la CPI, mais cela ne veut pas dire qu’il ne devrait pas le faire. De fait, les crimes commis au Sri Lanka comptent certainement parmi les pires de ce siècle. Il y a eu plus de 40.000 personnes tuées, rien qu’au cours des deux dernières années de la guerre, et des centaines de milliers de personnes déplacées.
Il y a au moins une affaire qui serait en cours dans le cadre de la compétence universelle ? Peut-on en savoir davantage ?
Il y a une procédure qui a été engagée contre un ancien responsable militaire nomméJagathJayasuriya. La plainte a été déposée au Brésil et en Colombie par une organisation de la société civile. Le choix de l’Amérique du Sud s’explique par le fait que M. Jayasuriya était ambassadeur du Sri Lanka dans la région, il y était donc présent et y résidait. Le dépôt du dossier était ainsi assorti d’une demande de mandat d’arrêt pour qu’il soit jugé au Brésil ou en Colombie, étant donné que les crimes qu’il a commis sont tellement graves qu’ils satisfont aux éléments juridiques de la compétence universelle. Mais il est retourné au Sri Lanka juste avant le dépôt du dossier. Il a certainement eu vent de la plainte. Les autorités sri-lankaises ont bien-sûr affirmé qu’il rentrait normalement au pays et ont nié qu’il ait été impliqué dans des crimes. En fait, elles ont constamment nié qu’un membre de l’appareil militaire ait été impliqué dans les crimes au Sri Lanka, ce qui est franchement ridicule puisqu’il existe tellement de preuves de l’implication de militaires, que ce soit des témoignages, des vidéos ou des photos. Il y a une montagne de preuves qui montrent que de terribles crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été commis et il y a une longue liste d’anciens combattants LTTE (Tigres de libération de l'Eelam tamoul) qui se sont rendus au gouvernement et sont aujourd’hui disparus.
Après la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU et l’octroi d’un délai supplémentaire de deux ans au gouvernement sri-lankais, il y aura une évaluation à mi-parcours au début de l’année prochaine. Qu’attendez-vous de cette évaluation ?
Je n’attends rien de cela puisque notre constat est que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU se garde de critiquer le gouvernement sri-lankais ou de lui imposer des délais stricts. Je m’attends donc à voir la même chose à la prochaine session. Ce que je souhaiterais c’est que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU mette en place un mécanisme d’identification des étapes respectives pour chaque pilier ainsi qu’un système de suivi pour s’assurer que ces étapes sont franchies, de façon qu’après les deux ans, ils soient en mesure de dire avec certitude si des progrès ont été réalisés ou pas.