Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) s’apprête à prononcer son verdict dans l’affaire Mladic, le 22 novembre. L’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie est poursuivi pour génocide, crimes contre l’humanité et violations des lois de la guerre. Après presque 25 ans de procès, qui ont vu notamment la condamnation de ses principaux associés ainsi que celle de Radovan Karadzic, sa culpabilité suscite peu de doutes.
A quelques heures du verdict du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) contre Ratko Mladic, peu doutent de la condamnation de l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie. L’enjeu de cette affaire est ailleurs. En premier lieu, dans la peine qui lui sera infligée. Ratko Mladic risque la perpétuité. Mais en mars 2016, contre toute attente, le TPIY avait condamné à 40 ans de prison l’ex chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic. Depuis son fief de Pale surplombant Sarajevo assiégée par ses forces tout au long de la guerre, Karadzic mettait pourtant en œuvre l’épuration ethnique en Bosnie-Herzégovine. Mais les juges avaient considéré son retrait de la vie politique en 1996, après l’accord de paix de Dayton, comme une circonstance atténuante. Ils validaient la partie rédigée de l’accord Holbrooke, du nom du négociateur américain, sans toutefois se prononcer sur l’autre partie supposée - et non écrite - de cet accord : l’impunité de Karadzic, qui pendant 13 ans a ainsi pu échapper au TPIY. Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de tel accord, pour Ratko Mladic. Le chef militaire bosno-serbe a, de plus, tout au long des quatre années de son procès, provoqué les juges, allant jusqu’à insulter des témoins, et être expulsé, à plusieurs reprises, de la salle d’audience.
Génocide à Prijedor ?
Les accusations portées contre Ratko Mladic sont similaires à celles pour lesquelles Radovan Karadzic a été condamné. Il doit répondre de génocide, crimes contre l’humanité et violations des lois et coutumes de la guerre commis en Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995, lors d’une guerre qui a fait plus de 100 000 victimes. L’ex chef militaire des Serbes de Bosnie a été jugé pour le massacre de 7000 bosniaques musulmans à Srebrenica en juillet 1995, l’épuration ethnique des villes et villages de Bosnie-Herzégovine, dont les camps de la région de Prijedor, les quarante-quatre mois de siège de Sarajevo, bombardée, soumise aux snipers et affamée ; et la prise en otage de personnels des Nations unies, utilisés comme boucliers humains pour empêcher toute intervention de l’OTAN. Jusqu’ici, le Tribunal a toujours rejeté le chef de génocide - conservant celui de crimes contre l’humanité - pour les crimes commis en Bosnie-Herzégovine, à l’exception de Srebrenica. Mais dans l’affaire Mladic, l’accusation est parvenue à faire admettre au dossier - à la dernière minute - de nouvelles preuves, fraichement obtenues. Le résultat médico-légal d’exhumations réalisées dans la région de Prijedor. Au cours de l’été 2013, un soldat serbe repenti avait révélé l’emplacement de charniers à la commission des disparus de Bosnie-Herzégovine. Elle avait pu exhumer 712 corps des fosses de Tomasica et Jakorina Kosa, sur le site d’une ancienne mine. Ces preuves démontrent de la violence de l’épuration ethnique dans cette région prise par les forces bosno-serbes dès le printemps 1992. On saura le 22 novembre si ces preuves auront convaincu les juges de condamner Ratko Mladic pour génocide. Peu avant de quitter Sarajevo pour rejoindre La Haye et assister au verdict, la présidente de l’association des Mères de Srebrenica et de Zepa, a dit à l’AFP attendre « qu’il soit reconnu coupable du génocide, non seulement à Srebrenica mais aussi dans d’autres villes ».
Les liens de Mladic avec Belgrade
Enfin, l’autre inconnue de ce verdict réside dans la responsabilité qui sera attribuée à la Serbie dans les crimes de Ratko Mladic. Jusqu’ici, aucun responsable serbe n’a été condamné pour les crimes commis en Bosnie. Slobodan Milosevic est décédé dans sa cellule avant la fin de son procès. En 2013, Momcilo Perisic, son ancien chef d’Etat-major, a été acquitté en appel, après une condamnation initiale à 27 ans de prison. Un mois plus tard, c’est l’ex chef des services de renseignements, Jovica Stanisic, qui était à son tour acquitté en première instance. La chambre d’appel avait alors ordonné qu’il soit de nouveau jugé. Vingt-cinq ans après les crimes, il est donc en procès devant le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MICT), une structure établie par l’Onu pour s’occuper des derniers dossiers des tribunaux ad hoc pour l’ex Yougoslavie et le Rwanda : fugitifs, demandes de remises de peine, derniers appels, et dans le cas de Stanisic, reprise complète de l’affaire. La décision attendue contre Ratko Mladic permettra donc aussi de savoir comment les juges ont interprété les liens entre le chef militaire des Serbes de Bosnie et les responsables de Belgrade.
Mladic refuse d’affronter le verdict
Lors de son arrestation en Serbie, le 26 mai 2011, Ratko Mladic était souffrant. Au cours de ses seize années de cavale, l’ex-officier avait été victime de deux attaques cérébrales. La longue traque lui avait fait perdre ses soutiens au sein de l’armée. C’est chez un cousin qu’il avait fini par trouver refuge. Selon plusieurs enquêteurs du Tribunal, c’est la piste des médicaments qui avait permis de remonter jusqu’à lui. Quelques mois après son arrivée au Tribunal, l’accusé - remis sur pied – avait, nouvelle provocation, remercié les juges de lui avoir sauvé la vie. Durant toute la durée de son procès, plus de quatre ans, le Tribunal avait aménagé les audiences pour tenir compte de sa santé fragile. Mais depuis le printemps, ses avocats dénoncent le traitement reçu dans sa prison de Scheveningen aux Pays-Bas et ont demandé plusieurs expertises. Ratko Mladic a demandé à être traité en Russie ou en Serbie, ce que les juges ont refusé. Désormais, ses avocats demandent avec insistance au Tribunal de reporter la date du verdict, arguant qu’il n’est pas apte à l’affronter.