La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a présenté, le 12 décembre, son 26ème d’étape sur l’affaire Darfour devant le Conseil de sécurité des Nations unies à New York. Fatou Bensouda a demandé une nouvelle fois aux diplomates de prendre des actions concrètes de coopération pour l’exécution des mandats d’arrêt émis contre cinq responsables soudanais, dont le président Omar Al Bachir.
Au rapport pour la 26ème fois devant le Conseil de sécurité des Nations unies sur l’affaire Darfour, le bureau du procureur a dénoncé l’absence de coopération des Etats dans l’exécution des mandats d’arrêt émis contre cinq responsables soudanais, dont ceux pour crimes contre l’humanité et génocide émis en 2009 et 2010 contre le président Omar Al Bachir. « Toute la machinerie judiciaire de la Cour peut être enrayée tant que les personnes recherchées par la CPI ne sont pas arrêtées », a ainsi déclarée la procureure à la tribune du Conseil de sécurité. Ce même Conseil avait saisi la Cour des crimes commis au Darfour en mars 2005. Le rapport de la procureure reste très évasif sur l’évolution de son enquête, à laquelle plus de 2 millions d’euros étaient consacrés en 2017, mais a longuement rappelé les décisions judiciaires prises par la Cour lors des derniers mois, pour mieux dénoncer l’atonie du Conseil de sécurité.
Coup de projecteur sur l’inaction du Conseil
En juillet dernier, a-t-elle rappelé, les juges ont affirmé que l’Afrique du Sud avait failli à ses obligations en refusant d’arrêter Omar Al Bachir lors de sa visite en juin 2015 pour un sommet de l’Union africaine. Les juges n’avaient pas renvoyé la question de la non-coopération de l’Afrique du Sud au Conseil de sécurité, saluant ainsi la bonne volonté de Pretoria dans les procédures la condamnant, et estimant la démarche « futile » puisque New York n’a répondu à aucun des renvois de la Cour dénonçant la non coopération d’Etat parties. Au cours des 24 réunions organisées par le Conseil sur le Darfour, aucun plan d’action n’a été arrêté. Pour la procureure, « cela jette la lumière sur les inactions répétées du Conseil suite à tout renvoi ». Et sur l’inaction du Soudan. Fatou Bensouda assure que dès lors, les Etats peuvent sans hésiter accueillir le soudanais, « parce qu’ils savent que cela sera sans conséquence de la part du Conseil ». Lundi, les juges de la Cour ont néanmoins de nouveau renvoyé pour sanction le cas de la Jordanie, Etat membre, qui avait accueilli sans l’arrêter le chef d’Etat soudanais en mars dernier. A la tribune, la procureure a ainsi égrenée l’agenda étranger - plutôt chargé - d’Omar Al Bachir au cours des derniers mois : visite au Tchad, déplacement en Russie, qui n’est néanmoins pas membre de la Cour. En Ouganda, aussi, mi-novembre. Tentant de répéter l’épisode sud-Africain, des ONG avaient demandé à la division des crimes internationaux de la Cour suprême d’émettre un mandat d’arrêt, mais ont été pour l’instant déboutées. Les juges ougandais ont expliqué attendre l’issue d’une précédente décision de la Cour : en juillet 2016, les juges avaient dénoncé l’absence de coopération de Kampala au Conseil de sécurité. Sans écho de New York à ce jour. Fatou Bensouda a donc réclamé des « actions concrètes de suivi de la part du Conseil », lui demandant de « mettre la priorité sur les mandats d’arrêt en suspens » avant de conclure que : « le temps n’est pas du côté des criminels mais du côté de la justice et des victimes. »
Désunion du Conseil de sécurité
Réagissant au rapport de la procureure, la représentante britannique s’est dite « frustrée » de la liberté des responsables soudanais ciblés par la Cour. Mais l’Ethiopie a vu comme « un appel au changement » cette « palette de pays qui ne respectent pas le Statut ». De nombreux pays de l’Union africaine, Afrique du Sud en tête, réclament une réforme du traité de Rome de sorte à empêcher la poursuite de chefs d’Etat en exercice. Comme d’autres Etats, Addis Abeba souligne le rôle du Soudan dans la lutte contre le terrorisme, la traite des personnes, les migrations, pour enfin rappeler que les Etats-Unis ont levé – début octobre - les sanctions imposées par Washington au Soudan depuis vingt ans. Une décision prise par Barack Obama peut avant son départ de la Maison Blanche. Le diplomate éthiopien a demandé au Conseil de revoir sa position vis-à-vis de l’action de la Cour au Darfour, sans en préciser toutefois la méthode. Paris a de son côté exprimé un soutien total à la Cour et rappelé l’initiative – vieille de deux ans - de la Nouvelle-Zélande. En 2015, Wellington avait proposé que le Conseil débatte des renvois de la Cour, au lieu de garder le silence. Et réagisse. Une possibilité à laquelle s’oppose fermement Moscou, qui de plus a souligné ne pas faire partie de la Cour. « Nous n’avons pas l’intention de rendre de comptes à qui que ce soit quand à nos rapports bilatéraux avec le gouvernement soudanais » a déclaré le représentant russe. Les Etats-Unis ont noté que l’intensité des violences au Darfour avait baissée, avant d’asséner des propos convenus sur le sort des victimes et de se lancer dans un joli hors sujet ! La représentante américaine a, une nouvelle fois, réaffirmé l’opposition de Washington à la demande d’enquête de la procureure sur l’Afghanistan. « Nous continuons d’être grandement préoccupé par une objection de principe de longue date contre toute enquête ou toute activité de la CPI contre du personnel des Etats-Unis » a-t-elle déclarée. Fatou Bensouda entend poursuivre les responsables du programme de torture de l’armée américaine en Afghanistan et de la CIA sur le sol européen.
Attaque en règle du Soudan
Sans surprise, et pour clore le ban des déclarations, le Soudan s’est lancé dans une attaque en règle de la CPI, après avoir souligné des évolutions en cours dans la crise du Darfour. Khartoum a répété ne pas être tenu par les décisions de la Cour, dont elle n’est pas membre. Puis demandé au Conseil de conduire une enquête sur les sources utilisées par la procureure dans son rapport, et enfin, de consacrer une réunion aux « déficiences » de la CPI, accusant certains Etats d’avoir « utilisé la CPI comme un outil pour atteindre un objectif politique bien défini ». Le délégué soudanais a utilisé les erreurs de la Cour pour mieux la poignarder, en évoquant le jugement de l’Organisation internationale du travail en faveur de l’ancien porte-parole de l’ancien procureur, Luis Moreno Ocampo, qui avait été limogé pour avoir dénoncé les agissements de l’argentin contre une journaliste sud-africaine en 2005. Une affaire sur laquelle la Cour n’a toujours pas fait toute la lumière, laissant à ses détracteurs le loisir de tenter de la discréditer.