Au Mali, la mission de la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) s’avère plus difficile qu’il n’y paraît. A quelques mois de la fin de son mandat, la CVJR est loin d’avoir répondu aux attentes dans ses missions de réconciliation.
« La CVJR n’atteindra pas ses objectifs », estime Madame Haïdara Aminaï Maïga, présidente du Conseil national des victimes (CNV), rencontrée dans un quartier de Bamako sur la rive droite du fleuve Niger. Remontée, elle l’est cette dame, qui confie à qui veut l’entendre sa déception vis-à-vis des actions de la Commission vérité, justice et réconciliation du Mali. « Personne ne sait ce qui se passe à la CVJR, il n’y a pas de transparence. Nous avons signé une convention avec elle depuis le 18 juillet, et nous n’avons pas eu de suite, ajoute-t-elle, visiblement en proie à un sentiment de colère sourd. Le travail est lent. » Cette quadragénaire est à la tête d’un collectif qui réunit plus de 76 associations de victimes, pour la plupart des femmes et des jeunes filles. « La CVJR a été constituée sans les victimes, qui ne sont représentées ni au niveau national, ni dans les antennes régionales. Le partenariat n’est pas franc. C’est déplorable. »
La mission de la CVJR
Au Mali, durant la rébellion et l’occupation des régions du nord par les groupes djihadistes, « de nombreuses et graves violations du droit à la vie, du droit à la sécurité de la personne et du droit à la propriété ont été perpétrées », selon les propos de Malick Coulibaly en 2013, alors ministre de la Justice au sein du gouvernement de transition. Après les viols, les exactions, la torture, les pillages, la volonté de réconciliation a conduit à la mise en place d’une commission dite « Dialogue et réconciliation » sous la transition, recadrée par la suite par le président Ibrahim Boubacar Keïta, qui a ajouté « vérité » à son arrivée au pouvoir. Créée en 2014, la CVJR a pour mission de « contribuer à l’instauration d’une paix durable à travers la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques ».
Une mission difficile, selon Baba Dakono, juriste de formation et chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) : « Elle a été installée sous la pression des partenaires, ce qui fait qu’elle manque d’appropriation au niveau national. Et l’impératif politique a pris le dessus. Sa mission est difficile au regard du contexte et du calendrier, qui n’est pas adéquat. » Si sa mission remonte jusqu’aux premières rébellions des années 1963, la CVJR, qui a commencé à travailler en 2015, est à quelques mois de la fin de son mandat d’une durée de trois ans. Elle est à l’étape des prises de dépositions. Environ 6 000 dépositions ont été enregistrées de janvier 2017 à nos jours, selon Ibrahima Coulibaly, commissaire à la CVJR, chargé à la communication. Au nombre de ces dépositions, les cas les plus emblématiques concernent les viols, les séquestrations et enlèvements, les pillages, les déplacements forcés.
« On patauge »
Mody Samba Touré, président de la Coordination nationale des victimes, était enseignant à Kidal en 2014. Lors de la visite de l’ex Premier Moussa Mara, qui a dégénéré, il a reçu des balles dans la hanche et la cheville. A son arrivée à Bamako, il a entamé des démarches pour que la CVJR prenne en charge, ne serait-ce que les frais de kinésithérapie. Sans succès. Pour lui, son cas était urgent et devait par conséquent être pris en charge, tout comme celui des femmes victimes de violences sexuelles. « Il n’y a pas d’avancée, on patauge. C’est trop politique », confie-t-il, dépité. « La CVJR n’est pas une caisse de solidarité. Notre rôle est de prendre les dépositions, mener des enquêtes sur le terrain et proposer des mesures de réparation au gouvernement. », explique Ibrahima Coulibaly. A l’Ecole de maintien de la paix, Alioune Blondin Bèye de Bamako, M. Coulibaly nous a reçu en pleine formation des équipes mobiles dont le déploiement est prévu pour janvier 2018. « Il y a une baisse d’affluence des victimes vers les antennes régionales. Nous avons décidé de former ces équipes mobiles pour aller chercher les victimes là où elles se trouvent », précise-t-il.
« Le bilan est mitigé, parce que la CVJ est toujours à l’étape des dépositions », estime-t-on du côté de la FIDH-AMDH (Association malienne des droits des droits de l’homme), qui travaillent avec la Commission. Dans un récent rapport Mali : face à la crise, faire le choix de la justice, ces organisations de défense des droits de l’homme ne font pas mystère de leur impatience. « Il y a un retard dans le processus juridictionnel », estime Drissa Traoré, coordinateur de programme à la FIDH-AMDH, qui pointe un déficit de volonté pour faire face aux défis de justice, d’autant que les groupes armés, représentés au sein de la Commission, sont plutôt pour un processus traditionnel. « Quand on fait recours à ce processus, c’est le pardon. Or, l’Accord rejette l’amnistie pour les crimes internationaux », ajoute-t-il.
Des endroits difficiles d’accès
« Ce n’est pas un retard. Pour qui connaît la situation, ce n’est pas évident. Au Mali, la commission a été installée pendant la crise. Il y a des endroits où l’accès est difficile. », rétorque Ibrahima Coulibaly. Il ajoute qu’en 2018, la CVJR s’apprête à remettre un rapport de fin de mission : « Ce sera au gouvernement de décider si nous devons continuer. » Pour certains partenaires de la commission, le gouvernement n’a pas le choix. Mais la réparation reste un autre sujet de tension. « Pas question d’accepter une réparation symbolique. Il faut aller au-delà », affirme Mme Maïga. « Nous pensons que pour une réconciliation de cœur et d’esprit, il est important de mettre en avant la justice classique, estime Drissa Traoré. Les mécanismes traditionnels ne suffisent pas. » A cela, Ibrahima Coulibaly répond que « la victime qui pense que son cas est grave peut le porter devant la justice, mais pas la CVJR. »