Après presque vingt ans de rebondissements, la justice française vient de clore l'information judiciaire sur l'attentat contre le président rwandais Habyarimana, épisode déclencheur du génocide de 1994: reste à décider d'un non-lieu ou d'un procès, dans ce dossier qui continue d'empoisonner les relations entre les deux pays.
Au terme de l'enquête, sept personnes sont mises en examen, toutes issues du clan de Paul Kagame, l'actuel président du Rwanda.
Il revient désormais au parquet de donner sa position sur leur sort judiciaire dans ce dossier emblématique des rapports compliqués entre Paris et Kigali, sur fond de débat sur les responsabilités françaises à l'époque du génocide.
Le soir du 6 avril 1994, l'avion de Juvénal Habyarimana, un Hutu, avait été abattu en phase d'atterrissage à Kigali par au moins un missile. Cet attentat est considéré comme le déclencheur du génocide qui fit 800.000 morts selon l'ONU, principalement dans la minorité tutsi.
Mais qui en sont les auteurs ? Depuis bientôt 24 ans, la question suscite de vives controverses.
Au Rwanda une commission d'enquête en 2009 en a imputé la responsabilité aux extrémistes hutu qui se seraient ainsi débarrassés d'un président jugé trop modéré.
En France, une information judiciaire avait été ouverte en 1998 après la plainte des familles de l'équipage, composé de Français, et le premier juge saisi, Jean-Louis Bruguière, avait privilégié une hypothèse opposée: celle d'un attentat commis par des soldats l'ex-rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par Paul Kagame, l'homme fort du Rwanda devenu président en l'an 2000.
Les relations diplomatiques entre les deux pays avaient été rompues quand le juge avait émis en 2006 neuf mandats d'arrêts contre des proches de Kagame. Elles s'étaient renouées trois ans plus tard après une première mise en examen en France, suivie de six autres, organisées diplomatiquement en 2010 au Burundi voisin où s'était rendu le juge Bruguière.
La thèse de ce juge avait néanmoins été fragilisée en 2012 par un rapport d'experts en balistique, qui s'étaient rendus sur place avec les juges ayant repris le dossier, Marc Trévidic et Nathalie Poux. Dans ses conclusions, le rapport désignait le camp de Kanombe, alors aux mains de la garde présidentielle d'Habyarimana, comme zone de tir probable.
- série de revers -
Closes une première fois, les investigations avaient été relancées en 2016 mais se sont heurtées jusqu'à ces derniers jours à une série d'obstacles.
Depuis deux ans, les juges tentent d'entendre un dissident rwandais, Faustin Kayumba Nyamwasa, réfugié en Afrique du Sud. Cet ancien membre du premier cercle du clan Kagame, visé lui-même par un des mandats d'arrêt, avait fait une déposition niant son rôle dans l'attentat mais appuyant les accusations contre ses anciens compagnons du FPR.
Mais ces derniers jours, l'Afrique du Sud a signifié aux juges son refus de laisser auditionner ce témoin par visioconférence.
Autre revers subi par la justice française: deux des personnes mises en examen, dont l'actuel ministre rwandais de la Défense, le général James Kabarebe, ont refusé de se rendre à leur convocation à Paris le 14 décembre. Le juge Jean-Marc Herbaut, qui avait repris la direction de l'enquête, voulait les confronter à un nouveau témoin affirmant avoir eu la garde des missiles au QG du FPR.
"Cet énième témoin n'a pas dû être aussi convaincant que certains avocats l'ont dit", a commenté auprès de l'AFP Me Bernard Maingain, conseil des sept personnes mises en examen avec Me Léon-Lef Forster. Les deux avocats "se réjouissent que le juge ait fait droit à leurs demandes" répétées de clore l'enquête et "regrettent toutes les manoeuvres de diversions menées pour empêcher le non-lieu".
La décision des juges "est logique et inéluctable, compte tenu des obstructions diplomatiques et politiques" de l'Afrique du Sud et du Rwanda, a réagi Me Philippe Meilhac, avocat de la veuve Habyarimana. "Les parties civiles attendent avec confiance la décision qui sera prise par le juge", après les réquisitions du parquet.