Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a officiellement fermé ses portes le 21 décembre à La Haye, au cours d’une cérémonie en présence du Secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres. En près de 25 ans, ce premier tribunal de l’Onu aura condamné 90 responsables des guerres d’ex-Yougoslavie.
Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) « lègue au monde un puissant héritage qu’il nous appartient de préserver » a déclaré le Secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, au cours d’une cérémonie organisée au Ridderzaal, la salle des chevaliers, dans l’enceinte du parlement néerlandais, le 21 décembre. Etabli par le Conseil de sécurité des Nations unies en 1993, au plus fort de la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995) et en l’absence d’une quelconque perspective de paix, les diplomates ne croyaient pas que ce tribunal parviendrait à juger les auteurs des guerres fratricides d’ex-Yougoslavie. En près d’un quart de siècle, 90 responsables de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ont été condamnés et 19 acquittés, au cours de 10 000 jours de procès et grâce, notamment, aux dépositions de plus de 5000 témoins. Pour le Secrétaire général de l’Onu, ce qui aujourd’hui semble l’ordinaire du Conseil de sécurité, « d’appeler à ce que les auteurs [de crimes] soient conduits devant la justice », étaient, à l’époque, inespéré. Antonio Guterres affirme que le TPIY « a créé l’architecture contemporaine de la justice internationale ». Et a rappelé ces tribunaux nés dans le sillage du premier d’entre eux : tribunal pour le Rwanda, la Sierra Léone, le Cambodge, Cour pénale internationale, et d’autres. Mais « la justice n’est pas seulement une bataille contre l’impunité », a encore souligné le Secrétaire général, il y a aussi les commissions vérité et réconciliation, dont la création dans l’Afrique du Sud post-apartheid reste le modèle.
Rejeter les criminels de guerre
Devant un parterre de juges, de procureurs, de diplomates, d’avocat, et en présence du roi des Pays-Bas, Willem Alexander, Serge Brammertz a souligné toute l’importance de la justice transitionnelle, pour ajouter que le travail de justice en ex-Yougoslavie ne se referme pas avec la fin du TPIY. Le magistrat belge a dénoncé l’absence de coopération entre les frères ennemis d’ex-Yougoslavie, regrettant, une nouvelle fois, que les magistrats ne puissent poursuivre, sans entraves, les procès de plusieurs milliers de criminels de guerre. Les réactions aux récents verdicts rendus contre l’ex chef bosno-serbe, Ratko Mladic, et contre sept responsables croates de Bosnie, ont rappelé la ferveur des nationalismes de la région. Le tribunal a rendu des jugements. « Aux responsables politiques d’avoir le courage » d’utiliser ces jugements, « de fournir leur soutien à la justice, et pas seulement le minimum pour les apparences », a asséné Serge Brammertz, dénonçant ce qui ressemble à une prise en otage des peuples par les politiques. « Aujourd'hui, les dirigeants doivent se distancier des crimes, rejeter les criminels de guerre condamnés et cesser de se cacher derrière de fausses déclarations de culpabilité collective, a estimé le procureur. Je l'ai déjà dit à maintes reprises, mais permettez-moi de le répéter : le tribunal juge la culpabilité des individus, pas des peuples ». Le tribunal n’a pas réconcilié, mais ce n’était pas son mandat. Quelques jours avant la clôture du tribunal, au cours d’une conférence, le diplomate britannique Paddy Ashdown, qui a témoigné à plusieurs reprises à la barre du TPIY, a posé un diagnostic optimiste sur l’impact du tribunal. « Je ne crois pas qu’il faille être déprimé par le processus de déni. Cela demande du temps. Il y aura du déni très longtemps après les événements ». Prenant l’exemple de l’Irlande du Nord, où il a vécu et était soldat de la paix, il assure que la réconciliation n’émergera qu’une fois que « la génération qui a conduit la guerre aura quitté le pouvoir ».
La réconciliation demande du temps
« L’élite politique actuelle dans la région a été formée durant la guerre, il ne faut pas l’oublier », confirme l’historien Vladimir Petrovic. Interrogé par JusticeInfo, le chercheur rappelle qu’ « il y a eu un genre de reconnaissance partielle du massacre de Srebrenica, par exemple, mais c’était sous la contrainte de l’Union européenne et ça n’a pas eu d’effet à long terme. Maintenant que cette pression a disparu, la question n’est pas évoquée. Je ne sais pas si à un moment donné, il y aura une reconnaissance plus authentique. » Pour lui, « si vous demandez qui a commencé la guerre, vous obtiendrez beaucoup de réponse : Milosevic, le Vatican, les Etats-Unis ». Car contrairement à Nuremberg, « personne n’a été poursuivi pour crimes contre la paix », pour avoir déclenché la guerre. « Et se pencher sur les crimes contre l’humanité est plus facile, pour les peuples, à accepter ». Le TPIY ferme ses portes, mais « c’est maintenant que tout commence », affirme encore M. Petrovic. Le tribunal lègue des millions de pages d’histoires, témoignages et pièces à conviction. « Ces archives sont la clé pour comprendre les pages sombres de l’histoire de la région ». En prévision de la clôture du tribunal, l’Onu avait mis sur pied un « mécanisme » chargé de boucler les derniers dossiers. Il doit encore décidé de trois procès en appel, dont ceux de Ratko Mladic et Radovan Karadzic. Boucler le procès de Jovisa Stanisic, l’ancien maître espion de Slobodan Milosevic, acquitté puis retoqué en appel, lorsque les juges ont décidé que son procès devrait reprendre à zéro. Ce mécanisme doit aussi traquer les derniers criminels de guerre en fuite du Tribunal pour le Rwanda.