L’enquête est enfin bouclée plus de 7 ans après les faits. Le 29 décembre 2017, le ministre d’Etat guinéen en charge de la Justice, Cheik Sacko, a annoncé la fin de l’instruction judicaire sur le massacre du 28 septembre 2009 et le renvoi des prévenus devant le tribunal criminel. Ce jour-là, la junte militaire alors au pouvoir avait réprimé dans le sang une manifestation de l’opposition à Conakry, tuant 156 personnes et violant une centaine de femmes, selon des chiffres de l’ONU.
La fin de cette instruction judiciaire semble ouvrir le chemin vers la tenue d’un procès. Déjà, un comité de pilotage chargé de préparer la phase du jugement a été créé même si aucune date n’a encore été annoncée pour l’ouverture du procès. « Une affaire de crime de masse aussi importante que celle du 28 septembre n’a pas de délais, qu’on le veuille ou pas, elle sera jugée en Guinée ; je ne sais pas quand, mais elle sera jugée », a assuré le ministre d’Etat Cheik Sacko lors d’une conférence de presse à Conakry. Et, soulignant que le procès devrait durer près d’une année, il a implicitement appelé les bailleurs de fonds à mettre la main sur la poche. «Si on n’a pas d’argent, on ne fera pas ce procès, qui va au moins durer 8 à 10 mois », a dit le ministre qui sait bien que la communauté internationale tient tant à ce que ce procès ait lieu. Les Etats-Unis et l’Union Européenne ont promis naguère d’accorder une aide financière au gouvernement guinéen, qui, à son tour selon Me Cheik Sacko doit budgétiser sa contribution au cours de cette année. Aucun montant n’est pour le moment indiqué.
Du côté de la magistrature, le procureur général près la Cour d’Appel de Conakry, Mondjour Chérif, assure que « les magistrats guinéens sont prêts pour tenir le procès ». Les audiences devraient se dérouler devant le tribunal de Dixinn, une commune de la capitale guinéenne. Mais des signaux négatifs sont déjà perçus par bon nombre d’observateurs. Il s’agit surtout du non-lieu déjà prononcé en faveur de deux officiers qui figuraient au nombre des suspects : le Général Mathurin Bangoura, actuel gouverneur de Conakry, membre du (Conseil national pour la démocratie te le développement (CNDD) la junte militaire alors au pouvoir, et le capitaine de gendarmerie Bienvenu Lamah, responsable, à l’époque des faits, de la milice stationnée au camp de Kaléah, non loin de Forécariah, à une centaine de kilomètres de Conakry.
Les magistrats chargés de l’enquête ont estimé qu’il n’y avait pas assez de charges pour le renvoi des deux officiers devant un tribunal. Les avocats des victimes ont fait appel de cette ordonnance. L’autre surprise dans ce dossier est que le Général Sekouba Konaté, ancien président de la transition et ministre de la Défense à l’époque, donc responsable de la troupe, ne sera pas convoqué au tribunal dans ce dossier alors qu’il a manifesté plusieurs fois sa disposition à être entendu dans cette affaire.
La bataille judiciaire est déjà engagée
En définitive, seuls 13 accusés seront appelés à la barre. Parmi eux, l’ancien président du CNDD, Moussa Dadis Camara, toujours en exil au Burkina-Faso, Aboubacar Diakité dit Toumba (arrêté à Dakar extradé et détenu à la prison de Conakry) et le colonel Moussa Tiégboro Camara. Ils doivent répondre de plusieurs chefs d’accusation, notamment meurtres, agressions, viols et tortures. Avant même l’ouverture du procès, la bataille judiciaire est déjà engagée. Les avocats de Toumba Diakité ont annoncé leur retrait définitif du dossier au motif que les droits de leur client sont violés par les autorités judiciaires et que ce dernier aurait fait l’objet d’une tentative d’empoisonnement par injection en prison. De son côté, la présidente de l’Association des parents et victimes du massacre du 28 septembre 2009, Asmaou Diallo, menace de saisir cette fois-ci les juridictions internationales si le procès ne s’ouvre pas en 2018.
Pour mémoire, des milliers de manifestants s’étaient rassemblés dans le stade de Conakry le 28 septembre 2009 pour dire non à une candidature à la présidentielle de Moussa Dadis Camara, alors chef de la junte, lorsque des militaires ont fait irruption, ouvrant le feu à l’arme automatique. Selon l’ONU, au moins 156 personnes ont été tuées et 109 femmes ont été violées, dont certaines ont été emmenées de force dans des camps militaires puis réduites en esclavage sexuel pendant des jours. Dans son rapport publié en décembre 2009, la Commission d'enquête des Nations unies dénonce un « crime contre l'humanité ».