Le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la Cour pénale internationale (CPI) a été suspendu le 19 janvier suite à l’audition du dernier témoin du procureur. C’est désormais au tour de la défense de contrer les accusations portées contre l’ancien président ivoirien et son ex ministre. Mais avant cela, les juges demandent au procureur de préciser ses accusations.
Il faudra encore attendre avant de connaitre les suites du procès intenté contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, suspendu depuis le 19 janvier suite à l’audition du 82ème et dernier témoin du procureur. Dans une décision rendue le 9 février, la chambre de première instance lui donne un mois pour revoir le document tenant lieu d’« acte d’accusation ». Les trois juges lui demandent de fournir « un mémoire préalable contenant un exposé détaillé de son cas à la lumière des témoignages entendus et de la preuve documentaire présentée au procès. » Ce n’est pas la première fois que des juges de la Cour demandent au procureur d’être précis et de reformuler des accusations en adéquations avec les pièces dont il dispose. Depuis le départ de cette affaire, en 2011, le procureur semble avoir tenté de faire coller les témoignages à son propre récit : la mise sur pied d’un plan censé permettre à Laurent Gbagbo de rester au pouvoir en ciblant les civils favorables à son successeur à la tête de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara. Signe des faiblesses du dossier du procureur ? Dans cette décision, les juges lui demandent de leur signaler au plus vite tout retrait éventuel de charges. La procédure pourrait aussi permettre au procureur de requalifier ses accusations.
82 témoins en deux ans
Dans la première étape de ce procès, ouvert fin janvier 2016, le procureur a appelé de nombreuses victimes de la crise qui avait suivi la présidentielle de novembre 2010 en Côte d’Ivoire, qui selon l’Onu, aurait fait plus de 3000 mort. Elles ont évoqué la répression violente d’une manifestation destinée à s’emparer de la Radio-télévision ivoirienne (RTI), en décembre 2010, celle d’une marche de femmes dans le quartier d’Abobo à Abidjan, et le bombardement qui a suivi, deux semaines plus tard. Enfin, les tueries dans le quartier de Yopougon, notamment au lendemain de l’arrestation de Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011, par les forces d’Alassane Ouattara, grâce au soutien décisif des forces françaises. Quelques responsables politiques ivoiriens sont venus déposés, des experts aussi. Et une partie des chefs de l’armée et de la police ivoirienne en poste à l’époque de Laurent Gbagbo. Selon la thèse du procureur, l’ex chef d’Etat aurait, pour rester au pouvoir, ciblé des civils ivoiriens en mettant sur pied un réseau parallèle au sein des Forces de défense et de sécurité (FDS), qui regroupent armée, gendarmerie, police et milice pro Gbagbo. Mais à la barre, ces officiers ont surtout tenté de tirer leur épingle du jeu, s’adonnant à des règlements de compte, déplorant une armée sans moyens et sans hommes, confronté à un ennemi supérieur, les rebelles d’alors, des Forces nouvelles et le Commando invisible, décrit comme une milice infiltrée parmi la population. En guise « d’attaque systématique » contre les civils favorables à son pourfendeur, ces témoins ont surtout évoqué une armée sur la défensive. Certains ont aussi dénoncé la fuite en avant de l’ancien chef d’Etat, auquel ils ont, durant la crise, demandé, sans succès, de remettre les clés du pouvoir à son successeur, Alassane Ouattara. Au fil des mois, le substitut Eric McDonald a retiré une quarantaine de témoins de sa liste initiale, sans en préciser publiquement les raisons.
La défense de Gbagbo épinglée par les juges
Dans leur décision du 9 février, les juges ordonnent à la défense de répondre sous un mois au mémoire du procureur. A cette date, le 9 avril, les deux accusés devraient donc dire s’ils souhaitent présenter leurs propres témoins, ou demander aux juges de se prononcer sur les charges, sur la seule base des témoins du procureur. Si les juges retiennent une, ou plusieurs charges, les avocats pourront alors décider de présenter des témoins. L’avocat de Laurent Gbagbo, Emmanuel Altit, avait demandé plus de temps avant de se prononcer, expliquant ne pas être « en position d’évaluer en profondeur » les témoignages entendus depuis deux ans, faute, notamment de disposer des transcriptions corrigées du procès. Le dépôt d’un nouveau mémoire de l’accusation pourrait néanmoins accélérer la procédure. Mais les juges, qui depuis le début de l’affaire tentent d’accélérer le cours de ce procès-fleuve, reprochent à maître Altit « de se fonder sur l'hypothèse que (…) tout le travail de défense de l'affaire doit encore être fait, même si ces procédures sont en cours depuis plusieurs années (et que l'avocat principal de M. Gbagbo était en place depuis le tout début) » Pour les juges, l’avocat a « une conception déformée du cadre procédural pertinent, difficilement conciliable non seulement avec le principe de rapidité de la procédure, mais aussi avec la notion globale d'équité du procès. » Laurent Gbagbo est détenu depuis bientôt 7 ans, presque autant pour son co-accusé, Charles Blé Goudé, pressé, lui, d’en finir avec son séjour dans la prison de Scheveningen.