Plus de six années passées dans les geôles éthiopiennes n'ont en rien émoussé sa détermination ou ses critiques envers le gouvernement. Le journaliste Eskinder Nega, libéré en février dans le cadre d'une amnistie de prisonniers, notamment politiques, n'a qu'une chose en tête: poursuivre son combat.
"Nous allons continuer à lutter pour la liberté d'expression et la démocratie", assure le journaliste de 47 ans dans un entretien à l'AFP, dans la capitale Addis Abeba. "Je suis prêt à retourner en prison (...), mais ce que je ne suis pas prêt à faire, c'est abandonner".
Les articles d'Eskinder Nega, très critiques de l'autoritaire régime au pouvoir depuis 1991, étaient très populaires. Mais le journaliste a été arrêté en septembre 2011 à la suite d'un texte prédisant un soulèvement similaire au printemps arabe en Ethiopie.
Comme d'autres journalistes, blogueurs et opposants critiquant le gouvernement, il a été inculpé de terrorisme, puis condamné à 18 ans de prison à l'issue d'un procès vivement critiqué par les organisations internationales de défense des droits de l'Homme.
Et s'il salue la récente libération de centaines de prisonniers, M. Eskinder craint que le sort des journalistes en Ethiopie n'empire suite à l'état d'urgence décrété en février par la coalition au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF).
Raison de plus d'aiguiser sa plume, tonne M. Eskinder d'un air grave.
Car le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique est plus que jamais à la croisée des chemins suite à la démission en février du Premier ministre Hailemariam Desalegn, emporté par une vague sans précédent de manifestations anti-gouvernementales.
L'EPRDF a entamé des consultations pour nommer un successeur, mais au vu de l'opacité des hautes sphères du pouvoir éthiopien, difficile de prédire si l'Ethiopie se dirige vers une plus grande ouverture ou si elle se prépare à une reprise en main par des partisans d'un ligne dure.
"Si cette personne (le nouveau Premier ministre, ndlr) veut du changement, un vrai changement dans ce pays, elle devra entamer des négociations avec tous les partis politiques, même ceux qui ont été qualifiés d'organisations terroristes" par le gouvernement, espère Eskinder Nega.
- Expulsion -
Classée 150e sur 180 au classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, l'Ethiopie a expulsé début mars le journaliste britannique William Davison. Et depuis 2017, les journalistes étrangers ne sont plus autorisés à posséder une voiture.
Eskinder Nega a lui toujours nié les charges retenues contre lui, notamment ses liens avec le groupe Ginbot7, qui appelle au renversement par les armes du régime. Le journaliste a également toujours refusé de signer une confession, même s'il pense qu'elle lui aurait garanti une libération anticipée.
Durant ses années de prison, passée principalement dans une petite pièce avec trois autres prisonniers, M. Eskinder est parvenu à faire sortir clandestinement un texte publié dans le New York Times en 2013 et dans lequel il qualifie son lieu de détention de "goulag".
L'amnistie de prisonniers ayant mené à la libération d'Eskinder Nega avait été présentée par M. Hailemariam, qui n'avait alors pas encore démissionné, comme une mesure destinée à "améliorer le consensus national". Mais nombre d'observateurs l'interprètent comme une simple manière d'apaiser le sentiment anti-gouvernement.
Les manifestations contre le régime avaient débuté fin 2015. Leur répression par les forces de l'ordre a fait près de 1.000 morts, en grande majorité dans les régions Oromo et Amhara, les deux principales ethnies du pays.
Le calme - même si d'occasionnelles manifestations ont encore lieu en région oromo -, n'était revenu qu'avec l'instauration d'un état d'urgence entre octobre 2016 et août 2017.
M. Eskinder souhaite d'abord voyager vers les Etats-Unis pour voir son épouse et leur fils de 11 ans, qui avaient déménagé en Virginie lorsqu'il était en détention. Une fois rentré, il se consacrera au journalisme télévisé plutôt qu'à la presse écrite, afin de toucher une audience plus large.
"Je pense que s'impliquer via la télévision satellite est fondamental", dit-il, tout en assurant que le message restera le même: "Ce que j'envisage pour ce pays, c'est une démocratie libérale à l'occidentale".