Enseignant à Kidal, fief des ex-rebelles indépendantistes, Modissamba Touré a été victime d’une tentative d’assassinat le 17 mai 2014, lors de la visite du Premier ministre, Moussa Mara. Il a reçu une balle dans la cheville et d’autres dans la hanche. Portrait du leader de la Coordination nationale des associations des victimes.
Lorsque Modissamba Touré se met à parler, le même sourire innocent s’étire sur ses lèvres. Le genre de sourire qu’on arrive à sortir malgré la gravité de ce qu’on raconte. Il n’est jamais pressé de répondre. Surtout quand il s’agit de raconter ce qui lui est arrivé à Kidal, dans le nord de son pays,cet après-midi du 17 mai 2014 : « Le Premier ministre (Moussa Mara, ndlr) a tenu la conférence des cadres. Vers 17 heures, après qu’il a quitté la salle du gouvernorat, nous étions devenus des cibles. Les assaillants sont entrés. Une dame, qui préparait pour nous, a voulu s’enfuir parce que le toit du bâtiment prenait feu. Je l’ai suivie, puis elle a reçu une balle au cou et ronflait bruyamment. Je n’ai pu fuir, mes pieds s’étaient alourdis. C’étaient deux jeunes, armés et enturbannés. L’un disait à l’autre en tamasheq : ‘’voici l’homme’’. Il m’a appelé par mon nom et m’a tiré une balle dans la cheville. (…) J’ai tenté de fuir quand j’ai commencé à saigner, c’est là qu’il a tiré des balles dans ma hanche. »
Modissamba Touré, 43 ans, trois petites marques de scarification à la tempe droite, porte une chemise verte multicolore. A la bourse du travail, bastion de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), où il a son bureau, celui qui dirige l’Union régionale des travailleurs de Kidal confie d’entrée de jeu sa joie énorme de pouvoir marcher sans ses deux béquilles depuis quelques jours. Durant quatre ans, il n’avait pu s’en passer. Il se souvient encore des moindres détails des évènements douloureux survenus à Kidal.
Modissamba Touré raconte comme il a été victime d'un attentat
En 1998, alors élève-maître à l’Institut de formation des maîtres de Kayes (IFM), Modissamba Touré, originaire de Tombouctou, est envoyé en stage à Kidal et finit par y devenir fonctionnaire des collectivités territoriales. « Tout allait bien, confie-t-il. En tant qu’enseignant, on est mêlé à tout : organisations des élections, société civile, activités syndicales. En toute sincérité, il n’y avait aucun problème. »
Aucun problème jusqu’en 2012, quand Kidal tombe entre les mains du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui réclame alors l’indépendance de cette région. En tant que dirigeant régional de l’Union générale des travailleurs et défenseur des droits humains, Modissamba Touré parcourt la région, participant à différentes réunions. Il fait ainsi partie des invités lorsque le Premier ministre Moussa Mara effectue une visite le 17 mai 2014 à Kidal. Vers six heures du matin, alors qu’il est « logé au gouvernorat avec d’autres agents de l’État comme des aventuriers », il entend siffler des balles. « Les groupes armés étaient opposés à l’arrivée du Premier ministre, mais l’État était déterminé », dit-il. Le Premier ministre arrive entre 15 et 16 heures et préside au gouvernorat la « conférence des cadres », alors que les tirs s’intensifient dehors. Après le départ de Moussa Mara, à 17 heures, les assaillants investissent le gouvernorat, tuant de nombreux civils et de militaires.
« J’aurais voulu que ce voyage se passât autrement, mais les groupes armés en ont décidé autrement », confie Moussa Mara, contacté par Justiceinfo. Le syndicaliste, qui a frôlé la mort la mort ce jour-là, raconte. « Je baignais dans le sang, se souvient-il Modissamba, la voix un peu émue. L’un des assaillants m’a poussé dans le couloir. Après, ce sont des gens du MNLA qui sont venus. Ils nous ont dit que nous étions entre de bonnes mains, qu’ils n’étaient pas comme l’État malien qui tue les gens et que, désormais, nous devions nous considérer comme des otages. Ils m’ont enroulé dans une moquette comme un cadavre et m’ont placé derrière un pick-up pour m’amener au Centre de santé de référence. Mais il n’y avait pas de radio. »
Evacué par un avion de la mission de l’ONU (MINUSMA), il sera admis à l’hôpital de Gao. Au bloc opératoire, deux balles lui sont extraites des hanches et une de la cheville. A côté de lui, veille le représentant des organisations de défense des droits humains (AMDH, CNDH, Amnesty international, WILDAF…) desquelles il a reçu un soutien financier. « C’est la seule intervention que j’ai reçue jusqu’à mon évacuation en Tunisie en octobre dernier ", confie Modissamba, qui traîne encore des balles dans son corps. A l’hôpital de Kati, en Tunisie, le médecin lui a signifié que les balles étaient logées dans un endroit tel qu’il ne pouvait pas prendre de risque. Le survivant dirige aujourd’hui la Coordination nationale des associations des victimes (CNAV).
"Nous avons besoin d’un appui psycho-médical et financier »
Aujourd’hui, président de la Coordination nationale des associations des victimes de la crise, il vit à Bamako, loin de Kidal où il servit pendant 10 ans en qualité d’enseignant au compte de l’État malien. « Mais, rien ne sera plus comme avant dans sa vie. Il ne travaille pas. Ce qui est bien, c’est qu’il se bat pour la justice sociale », confie cet ami ayant requis l’anonymat.
Modissamba Touré dit fonder beaucoup d’espoir sur la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) avec laquelle ses associations ont signé une convention de collaboration. Il a fait sa déposition à la commission, avec laquelle il juge les relations « bonnes ». Pourtant, il y a quelques mois, il n’avait pu s’empêcher de tirer à boulet rouge sur la CVJR : « « Il n’y a pas d’avancée, on patauge. C’est trop politique », avait-il confié, dépité. A l’évocation de ces propos, il sourit. « Nous voulons plus, dit-il. Nous avons besoin d’un appui psycho-médical et financier ».
Mais, à l’instar de nombre de victimes, Modissamba Touré déplore que la CVJR soit sous la tutelle du ministère de la Réconciliation : « C’est difficile qu’elle atteigne tous ses objectifs. Il faut que la CVJR soit indépendante pour faire mieux. » Une autre bataille oppose pourtant ses organisations à la CVJR : elles exigent que les victimes soient représentées au sein de l’institution. « Il faut appliquer la justice transitionnelle de façon complète. Tant qu’il n’y a pas de justice sociale, il sera difficile de pardonner, d’oublier. », explique Modissamba.
En attendant, il s’occupe de sa petite fille de quatre mois et sa maman, à Bamako.