« En 1963, l’armée a tué presque tout le monde, de Gako à Kukandenze. Pendant le génocide de 1994, un tueur de renom appelé Kabube a annoncé : "hier, j’ai tué toute sa famille ! Ni Kayibanda, ni Habyarimana n’ont voulu le tuer, moi non plus je ne le tue pas"’. C’est comme cela que je suis là », explique le vieil homme très perplexe.
L’allusion est faite à son arrestation et à sa condamnation à mort en 1963. « Considéré comme "Inyenzi", (le surnom donné aux réfugiés qui tentèrent de revenir au Rwanda à partir de 1963 NDLR), j’ai été arrêté, le 22 décembre 1963, 2 jours après mon mariage. J’ai été interrogé par le major Tulpin et par Alexis Kanyarengwe à la sûreté Nationale. Condamné à mort, j’ai été transféré à la prison centrale de Ruhengeri pour y être exécuté. La mort n’est pas venue. Ce fut plutôt le transfert à la prison de Gitarama, 4 ans après. J’ai été libéré le 12 juillet 1985 après une grâce présidentielle », se souvient-il.
Au cours de ces 22 ans de détention, Gapagasi n’oublie pas tous les actes de torture et de traitement inhumain à l'égard des prisonniers. « On nous privait de nourriture pendant plusieurs jours, on versait de la bouillie à même le sol et on nous invitait à la lâper comme des chiens. Ou alors, on invitait à nous manger les uns les autres. Ou ils pressaient nos organes génitaux pour nous faire souffrir. C’était horrible!», raconte-t-il.
L’un de ses grands regrets est la mort de ses anciens compagnons d’infortune, Gatera, Segikwekwe, Bujuri, Bikonjo et Muyango, tous tués pendant le génocide de 1994. « Il ne me reste que le vieux Grégoire Hitimana, employé à la paroisse de Nyamata ! », confie-t-il à l’Agence.
Pour le septuagénaire, la vie doit continuer. Après avoir perdu ses 2 femmes et 7 enfants en 1994, il s’est remarié. Il a une femme et un enfant de 5 ans. Mais cette fois encore la chance n’est pas de son côté. « Nous avons le VIH/SIDA, et j’en témoigne publiquement à chaque fois. Mais je ne m’en fais pas parce que le désespoir est pire que le Sida, et moi j’ai toujours l’espoir en la vie », affirme-t-il.
Et à quelque chose malheur est bon !, ajoute-t-il. « Durant ma détention, j’ai appris les métiers de tailleur, de cordonnier et de coiffeur. Cela me fait vivre, en plus de mes activités de jardinage ».
Le vieux Gapagasi se lève et, droit comme un I, déclare avec fierté : « La vie doit continuer, puisque même le Président Kagame m’a donné une vache ! ».
SRE/PB/GF