« Il saigne ! ». Au téléphone, un proche de Kalilou Saidykhan, appelle à l’aide. Au bout de la ligne, depuis le Centre des Victimes des Violations des Droits de l’Homme en Gambie, Ayesha Jammeh, une des volontaires qui animent les lieux, tente de parer à cette nouvelle urgence. « Il faut l’emmener à l’hôpital », recommande-t-elle à la famille, le temps de mobiliser d’autres personnes ressource. Depuis deux ans, Kalilou est en lutte avec des séquelles de tortures subies sous la dictature de l’ex-président Yaya Jammeh. Et il n’est pas seul !
En avril 2016, Kalilou a survécu à la sanglante répression qui s’est abattue sur une manifestation de l’opposition dans la capitale gambienne. L’opposant Solo Sandeng et d’autres n’ont pas eu la même chance. Ils y ont laissé leur vie.
Plus chanceux, mais toujours vulnérables, plusieurs rescapés traînent toujours de graves séquelles. En février 2018, le sexagénaire faisait partie d’une vague de 25 victimes à être envoyées au Sénégal voisin pour une prise en charge médicale adéquate. Le traitement de Kalilou révèlera que sa santé cardiaque est particulièrement préoccupante.
Créé en février 2017, quelques semaines seulement après la chute du régime de Jammeh, le Centre des victimes de violations des droits de l’Homme en Gambie, se veut le porte-voix des cas de disparitions forcée, de tortures, d’arrestations et détentions arbitraires, de licenciements abusifs, d’accaparement de terres… qui ont jalonné les 22 années sanglantes de l’ancien régime.
Le président n’a pas le temps !
Suppliciées par l’ancien régime, les victimes ne se sentent pas assez soutenues par la nouvelle administration. « Ils n’ont aucune sympathie envers nous », accuse Zeynab Lowe, volontaire au Centre et dont le frère, militaire, a disparu après son arrestation en 2006 dans une obscure affaire de coup d’Etat manqué.
Le 30 décembre 2017, c’est avec peine que les victimes sont reçues pendant « quelques minutes » par le nouveau président Adama Barrow. Alors qu’elles s’apprêtaient à être reçues par le président fédéral allemand, en visite en Gambie, c’est avec surprise qu’elles apprennent que leur président va, enfin, les recevoir, en amont à la rencontre avec l’Allemand. Dans la même journée. Beaucoup pensent d’ailleurs que la présidence gambienne voulait juste anticiper une situation embarrassante. Alors même qu’elles attendaient depuis des mois au portillon du palais présidentiel de leur pays, elles étaient sur le point d’être vues par un président étranger…
Elles finissent par être reçues par le président de la Gambie, Adama Barrow. Mais, au pas de charge. « On avait des choses à dire, mais il y avait son chargé de presse qui était derrière nous, au fond de la salle, et nous pressait de parler vite car le président n’a pas le temps et doit recevoir d’autres personnes », se souvient Ayesha Jammeh.
Après avoir attendu de longs mois avant d’être entendues, les victimes s’attendaient à plus d’égard et d’attention. Plus de temps aussi, pour porter leur plaidoyer au sujet de celles parmi elles qui ont encore besoin d’une prise en charge médicale urgente ou se retrouvent piégées dans des situations très précaires. « Les victimes ont voté pour eux, ils devraient faire de notre situation une priorité, mais non ! Il (Barrow) nous a juste dit qu’en Gambie, tout le monde est victime », se fâche Ayesha, dont le père a été tué par l’ancien régime.
« En disant que tout le monde est victime, c’est comme s’il n’y a pas de victime en réalité. Et la semaine dernière, il ose nous envoyer un calendrier et un bulletin d’informations. Nous avons dit au coursier que nous n’allons pas accrocher ce calendrier », renchérit Zeynab Lowe.
Parmi les cas vulnérables qui préoccupent les porte-voix des victimes, il y a surtout ceux d’avril 2001, qui lors d’une manifestation d’étudiants avaient été sauvagement réprimés. « Depuis ils n’ont jamais bénéficié de prise en charge médicale conséquente. Certains d’ailleurs traînent encore des balles dans le corps », plaide-t-on au Centre.
A ces victimes de 2001, la Turquie a promis une prise en charge gratuite sur son territoire. Mais la Gambie devrait fournir les billets d’avion. Cela fait des mois qu’elles attendent…
« Nous sommes abandonnés »
Toutes choses qui font dire aux victimes qu’elles sont « trahies » par le nouveau gouvernement. C’est d’ailleurs la manchette d’un journal local le jeudi 22 mars 2018. « Nous sommes très déçus par ce gouvernement en ce qui concerne les changements que espérions », s’est exclamé, dans les colonnes de The Standard, Sheriff Kijera, porte-parole par intérim du Centre des Victimes.
« Les membres du gouvernement semblent nous avoir oubliées, nous les victimes. Ousainou Darboe (ndlr : ex-prisonnier politique aujourd’hui ministre des Affaires étrangères) et Amadou Sanneh (ndrl : ex-prisonnier politique, aujourd’hui ministre en charge des Finances) sont tous deux des victimes, mais aucun d’eux n’a mis pied au Centre des victimes pour nous apporter leur solidarité », a relevé Sheriff Kijera.
Il a surtout marqué sa désapprobation suite aux propos tenus, quelques jours plus tôt, par le ministre en charge de l’Agriculture, Omar Jallow, tendant à faire croire que la Gambie n’avait pas besoin d’une Commission Vérité Justice et Réconciliation et Réparation. Ce ministre du gouvernement Barrow se dit même prêt à pardonner à Jammeh et ne souhaite pas le voir traduit devant les tribunaux. « Ce sont des propos très égoïstes d’une personne responsable. Je pense que nous sommes abandonnés par quelques figures du gouvernement », a réagi M. Kijera.
Mettre fin à l’exil doré de Yaya Jammeh en Guinée Equatoriale et le voir, lui et ses affidés répondre de leurs crimes en justice, c’est le combat des victimes. Un combat qui s’annonce ardu.