Deux ans après leur premier procès d’assises, deux ex- bourgmestres rwandais poursuivis pour génocide et de crimes contre l’humanité, reviennent en scène pour l’appel, qui s’ouvre mercredi 2 mai au Palais de justice de Paris. Vingt-quatre années et six mille kilomètres de distance séparent ce nouveau procès dit de « compétence universelle » des massacres commis en 1994 dans leur petite commune de l’Est du Rwanda, Kabarondo, où l’aîné Tito Barahira, 66 ans, officiait avant le génocide des Tutsis de 1994 et où Octavien Ngenzi, 60 ans, était maire pendant les massacres. Les deux hommes clament leur innocence.
Sur le fond de l’affaire, on reprend les mêmes et l’on recommence. Les accusés qui nient leur implication, la centaine de témoins et experts, dont une soixantaine vont revenir du Rwanda, les trente-et-un tomes de procédure. Les parties civiles, représentées par les mêmes associations, avec en figure de proue le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) à l’origine de la plupart des plaintes déposées en France contre une trentaine de Rwandais suspectés d’avoir participé au génocide. Tout cela coûte cher, ne soulève l’enthousiasme des foules ni en France ni au Rwanda et, comme le dit le président du CPCR Alain Gauthier « si les extraditions demandées [par Kigali] étaient acceptées nous n’en serions pas là ! ». Mais ces procès répondent, pour les associations de défense des droits humains constituées parties civiles, à une nécessité : celle de poursuivre des suspects de crimes graves qui sinon échapperaient à toute poursuite. Une volonté marquée en France par l’adoption en 2010 de la loi sur la compétence universelle et, en 2012, par la création d’un pôle judiciaire spécialisé pour lutter contre les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre. Six ans après, les résultats restent maigres : deux procès, dont celui qui reprend en appel mercredi, contre trois Rwandais. On attend les résultats d’au moins quarante-cinq informations judiciaires ouvertes par le pôle, sur des faits concernant le Rwanda mais aussi la Syrie, la Centrafrique, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Tchad, la Libye, l’Irak, la Croatie, l’Argentine…
Changement de défense
Durant les deux prochains mois, le procès d’appel des deux petits bourgmestres se tiendra donc, dans la même salle qu’en première instance. Octavien Ngenzi et Tito Barahirwa vont être rejugés par une nouvelle chambre composée de trois magistrats professionnels et de neuf jurés. La présidente, Xavière Simeoni, est une magistrate expérimentée, réputée discrète et opiniâtre. Son fait d’arme connu est d’avoir ouvert l’instruction, en 1998, contre l’ancien président de la République Jacques Chirac. Par la suite au pôle financier, elle a repris quelques dossiers célèbres – dont l’affaire Total – après le juge Philippe Courroye. Le même Courroye qui portait l’accusation il y a deux ans contre les deux Rwandais, dans un style flamboyant et parfois décalé. En appel, c’est l’avocat général Frédéric Bernardo qui représentera le parquet. Mais la grande nouveauté, pour Ngenzi le « filandreux » et Barahira « le granitique » comme Courroye les avait dépeints dans son réquisitoire, sera côté défense. Ngenzi le premier a dessaisi Me Françoise Mathe, qui maîtrisait sur le bout des doigts le dossier Rwanda, puis Barahira en a fait de même avec Me Philippe Meilhac, constitué par ailleurs dans de nombreux dossiers rwandais. Certes la première avait plaidé en défense la « lâcheté » et le second « l’antipathie » de leurs clients respectifs, mais la faute en revient sans doute plus au verdict implacable qu’ils n’ont pas pu leur éviter : la perpétuité. Ngenzi et Barahira ont opté pour le duo – Me Fabrice Epstein et Me Alexandra Bourgeot – qui a obtenu mieux, vingt-cinq ans pour génocide, pour leur compatriote Pascal Simbikangwa.
Les proches de Ngenzi, seront ses porte-voix sur les réseaux sociaux
Ngenzi et Barahira ont été jugés coupables d’avoir participé à des crimes de génocide et crime contre l’humanité, commis « en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale du groupe ethnique tutsi », précise la motivation en date du 6 juillet 2016. Le premier, bourgmestre en titre durant le génocide, pour avoir notamment organisé « l’attaque de l’église de Kabarondo le 13 avril 1994 » ; le second, pour avoir notamment animé « des réunions incitant la population à se livrer à des massacres ainsi qu’en participant lui-même à des attaques meurtrières ». Des faits que vont s’appliquer à contester leur nouvelle défense, et les accusés eux-mêmes. Naturellement taiseux, Barahira le restera sans doute. Ngenzi promet pour sa part d’être plus volubile qu’au premier procès, durant lequel son avocate a maîtrisé la parole, de façon excessive à son goût. Hors du Palais de justice, sa femme et ses enfants seront ses porte-voix à l’aide d’un blog intitulé « La justice pour Ngenzi » et d’un compte twitter lancés ces derniers jours. Un contre-point affiché au site du CPCR, qui porte la parole des victimes et qui propose une recension quotidienne du procès, et que les avocats de Ngenzi viennent d’attaquer pour violation du droit à la présomption d’innocence.
Une décision « indigne d’une cour d’assises » selon la défense
La création de ce blog et ce changement d’avocats opéré il y a un an environ, annoncent une défense prête à faire feu de tout bois pour tenter de convaincre le jury d’assises. « Nous allons être combatifs, nous confirme Me Epstein, sur la façon dont les témoignages sont obtenus, sur l’attitude des parties civiles, sur leurs liens éventuels avec le Rwanda, même si l’essentiel reste les témoignages. » L’avocat de Ngenzi dit avoir été « choqué », à la lecture de sa condamnation, par « le fait que les considérations sont extrêmement générales et pas circonstancielles, il n’y a pas le nom des témoins, pas de réflexion d’ensemble ni de quadrillage précis des faits comme dans Simbikangwa. Cela me fait dire que le travail a été fait plus qu’à la va-vite, qu’il a été bâclé et que ce n’est pas digne d’une cour d’assises de rendre un arrêt de condamnation à la perpétuité avec des considérations si générales. » « Désormais, ajoute Me Epstein en faisant référence à un arrêt récent de la Cour de cassation, il va falloir motiver la peine ! » Au procès, Ngenzi bénéficiera d’un second avocat, Me Benjamin Chouai. De son côté, Me Bourgeot assurera seule la défense de Barahira.
L’entente, difficile à prouver au niveau local
Sur le fond l’accusation va devoir établir, en s’appuyant essentiellement sur des témoignages, d’une part la responsabilité des deux bourgmestres dans les faits et les massacres précis commis dans leur commune, et d’autre part qu’il y a eu « entente » – en vue de le commettre – pour les condamner pour génocide. L’affaire n’est jamais simple. Dans les premiers jours du génocide, la petite commune de Kabarondo est relativement préservée des massacres. Puis l’apocalypse y débarque, là comme dans d’autres communes situées sur cet « axe de la défaite », décrit en 2016 par Me Mathe, où des massacres similaires se produisent dans des églises, avec le concours de gendarmes et de militaires en déroute, fuyant l’avancée du Front patriotique rwandais (FPR). Les petits bourgmestres de Kabarondo ont-ils préparé ces massacres, ou n’ont-ils pas pu s’y opposer ? Concernant l’entente, le Tribunal international pour le Rwanda (TPIR) a rencontré d’importantes difficultés à l’établir en général, mais plus encore à l’échelle locale. Ainsi, sur douze procès d’anciens bourgmestres, seuls deux ont finalement écopé de la perpétuité au TPIR, précise une recherche menée au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (Cessma, Paris), et le TPIR n’a retenu l’entente en vue de commettre le génocide pour aucun d’entre eux. Un acquitté du TPIR, Ignace Bagilishema, résumait l’enjeu en 2016 avec un certain art de la synthèse : « Avec mon procès, on sait qu’en étant bourgmestre, qu’en étant membre du parti au pouvoir, on peut être innocent. On ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier. Il faut juger chacun sur ses actes. »
Pour les victimes, « on ne peut concevoir une autre décision que la perpétuité »
Pour Alain Gauthier, cela ne fait pas de doute : le premier verdict du procès des deux bourgmestres de Kabarondo était le bon. Comme à chaque procès, le président du CPCR sera présent sur le banc des parties civiles, aux côtés de leur avocat principal, Me Michel Laval. « Je ne vois pas ce que l’on peut attendre d’autre que la condamnation à perpétuité comme en première instance. Le contraire serait pour nous et pour les victimes que l’on représente une immense déception », déclare celui qui a fondé le CPCR en 2001 avec son épouse rwandaise Dafroza, dont la famille a été décimée en 1994. Gauthier se tient prêt. « C’est un nouveau jury auquel on va avoir à faire, le procès recommence à zéro, dit-il, et de notre côté ; il va falloir faire preuve de la même détermination, expliquer et réexpliquer et faire respecter les témoins qui arrivent du Rwanda, et que la défense cherche à déstabiliser. » Au Rwanda, au parquet de Kigali une équipe organise les départs et s’occupe de la protection des témoins, précise-t-il. Une association les accueille à l’arrivée à Paris. Le CPCR, qui cite onze parties civiles, a demandé à ce qu’elles restent plus longtemps qu’en première instance, afin de leur ménager un temps de repos cette fois, au sortir de l’avion.
Sur la trentaine de plaintes déposées ces vingt dernières années par le CPCR, une demie- douzaine sont aujourd’hui en fin d’instruction, indique Alain Gauthier. Le 9 novembre dernier, Claude Muhayimana, citoyen français d’origine rwandaise a été renvoyé en procès, pour sa participation présumée à des faits commis dans la préfecture de Kibuye (ouest du Rwanda), dont l’attaque de l’école de Nyamishaba, des massacres de réfugiés à Karongi, Gitwa et Bisesero entre avril et juin 1994, et à Kibuye dans l’église le 17 avril 1994 et dans le stade le lendemain, qui ont fait des milliers de morts. La date de son procès n’est pas fixée.