Héla Ammar puise la force de ses images dans la richesse des territoires de la marge d’une Tunisie post Révolution. Sa dernière série dresse un portrait d’activistes militant pour les libertés individuelles.
« Les gens de la marge » est apparemment un thème qui passionne et obsède Héla Ammar, artiste visuelle. Elle a commencé par l’aborder au lendemain de la Révolution du 14 janvier dans un travail photographique en noir et blanc, à la fois puissant et pudique, sur le quotidien de la population carcérale féminine et masculine.
Elle le poursuit à travers l’installation « Contre jour » née d’une résidence artistique de trois mois avec cinq jeunes âgés de 17 à 25 vivant dans des quartiers miséreux de Tunis et exposée au festival Dream City 2017. Elle y renoue avec les problématiques découvertes en prison : la zatla (drogue), la harga (immigration clandestine), la houma (le quartier), la violence, le délit mineur, la précarité… Dans une ambiance de transition démocratique qui dure depuis près de huit ans approfondissant les inégalités sociales et économiques et aggravant les discriminations de tous genres, Héla Ammar puise dans une matière abondante, livrée à la scène publique et à laquelle elle sait appliquer une poésie et un humanisme propres à cette artiste visuelle et juriste de profession.
Une génération à fleur de peau
Dans sa dernière série photographique Body talks/A fleur de peau exposée à la Galerie Ghaya à Sidi Bou Saïd, dans la banlieue nord de Tunis, Héla Ammar conjugue ses préoccupations d’artiste politiquement engagée pour la liberté, l’égalité et la dignité, à un ancien travail en studio sur les codes de l’imagerie orientaliste.
Héla Ammar ©
A fleur de peau dresse le portrait d’une génération d’activistes tunisiens militant pour les libertés individuelles et plus particulièrement pour les droits LGBT. Portrait toutefois très particulier : l’artiste ayant choisi de cacher les visages de personnalités recherchées par les médias et connues des lumières des télévisions locales et internationales. De vraies icônes post révolutionnaires. Recouvrant la tête de ses sept modèles, des blogueurs, des journalistes et des artistes, de foulards fleuris aux couleurs criardes dits « Hindiya », l’artiste défie les catégories de genre, les identités d’usage et les tabous ambiants face au corps. « Ici, je leur ai demandé de renoncer à la notoriété que leur visage et leur identité véhiculent et de laisser leur corps raconter leur propre histoire. Ensemble, ils donnent un aperçu de ce qui se joue dans une société comme la notre. Ensemble, ils forment un tableau vibrant d’une génération à fleur de peau dont le langage défie les préjugés du temps et de l’espace », explique Héla Ammar.
Avec élégance et doigté, la série capte des corps à la sensualité flagrante, parfois troubles, sillonnés de tatouages criants. L’anonymat accentue la fragilité de ces oiseaux de proie, livrés dans l’espace public à toutes les formes de violence : homophobie, racisme et sexisme. Confiants grâce à un long échange avec l’artiste, ils s’offrent aux regards dans une lumière du jour, qui les rapproche d’images de la picturalité de la Renaissance.