Lior Reuven Amihai, directeur de Yesh Din
L’appel à la constitution d’une commission d’enquête a été lancée par le Secrétaire général des Nations unies le 31 mars, au lendemain de la première manifestation gazaouie de la «grande marche du retour» et des premiers morts tombés sous les balles les tireurs d’élite de l’armée israélienne. Les initiatives diplomatiques à New-York pour que le Conseil de sécurité de l’ONU se saisisse du dossier ayant buté sur le refus de Washington, le projet de commission d’enquête est revenu par la fenêtre à Genève au sein du Conseil des droits de l’Homme dans le cadre d’une session extraordinaire. Sur le terrain, des organisations non gouvernementales (ONG) israéliennes travaillent au quotidien pour défendre les droits des Palestiniens dans les territoires occupés par Israël et lutter contre les violations qu’ils subissent. L’association Yesh Din (bénévoles des droits humains en hébreux) est l’une de ces ONG. Fin février, elle s’est fait connaître à Genève lors de deux conférences organisées par le département de droit international public de l’Université de Genève, l’Ordre des avocats de Genève et la branche locale de l’association JCall. Son directeur, Lior Reuven Amihai, témoigne aujourd’hui des démarches entreprises depuis le début des affrontements à Gaza, qui ont culminé lundi dernier à l’occasion de la commémoration de la Nakbah de 1948, le pendant palestinien au 70e anniversaire de la création de l’Etat d’Israël.
swissinfo.ch: Avez-vous réussi à saisir la justice israélienne?
Lior Reuven Amihai: Le 15 avril, nous avons soumis un appel à la Cour Suprême, au nom de 4 organisations de défense des droits de l'Homme (Yesh Din, Association of Civil Rights in Israël (ACRI), Gisha, HaMoked) afin que les tribunaux clarifient les règles d'engagement actuelles de l’armée, en particulier les règlements sur les tirs à balles réelles qui dans ce contexte sont illégaux. Nous avons plaidé, en vertu du droit international et du droit israélien, pour que le recours aux tirs à balles réelles ne soit autorisé qu'en dernier recours, lorsqu'il y a une menace imminente pour la vie. Nous avons avancé que la réglementation actuelle semble permettre d'ouvrir le feu sur des civils non armés qui ne constituent pas un danger imminent, même s’ils sont qualifiés par les militaires d’«agitateurs clés» se trouvant trop près de la clôture (séparant Israël de la Bande de Gaza). Nous avons soutenu que les manifestations devraient être autorisées et qu'il existe de nombreux moyens non létaux qui permettent aux militaires de disperser les manifestations quand elles deviennent violentes. Mais la démarche n’a pas encore abouti.
L'indépendance de la justice israélienne est-elle menacée?
Oui, le système judiciaire israélien fait l'objet de nombreuses tentatives pour qu’il perde son indépendance. Les partis de droite, les politiciens et les groupes illibéraux et ultra-nationalistes lancent depuis de nombreuses années des campagnes sévères contre les tribunaux qu’ils considèrent comme un obstacle à leurs objectifs politiques. Ces campagnes portent atteinte aux droits humains des Palestiniens dans les Territoires occupés, des citoyens israéliens opposés à la politique du gouvernement ou aux réfugiés venus d’Afrique. Les valeurs démocratiques d’Israël s’érodent. Un exemple: actuellement, des pressions sont exercées pour faire adopter un projet de loi qui permettra au Parlement d'adopter une loi considérée comme anticonstitutionnel par la Haute Cour de justice. C’est une attaque particulièrement flagrante contre l'indépendance de la Cour suprême.
Comment la population israélienne réagit-elle au nombre très élevé de morts et de blessés palestiniens à Gaza?
Je crois qu'il y a de plus en plus de gens qui contestent les opinions et les actions du gouvernement lors de ces affrontements. Nous assistons à des manifestations dans quelques villes du pays qui appellent à mettre fin au siège (de la bande de Gaza) et à l’arrêt des tirs et les assassinats de manifestants palestiniens.
Mais nous sommes encore une petite minorité car la majorité de l'opinion publique israélienne voit ce que les médias israéliens lui montrent, des informations largement basées sur le récit que le gouvernement essaie de dépeindre. Les manifestations à Gaza sont le plus souvent présentées avec une seule dimension, soit le fait de violents militants du Hamas cherchant à abattre la clôture pour fondre par centaines de milliers en Israël afin de massacrer ses habitants.
Votre ONG bénéficie-t-elle du soutien de la Suisse?
Nous l'avons reçu jusqu’en 2017 par l'intermédiaire du Secrétariat des droits de l'homme et du droit international humanitaire, qui était un groupe de travail de quatre États européens (Danemark, Pays-Bas, Suisse et Suède). Ce groupe de travail s'est depuis lors dissous. Ces pays essayent maintenant de trouver un autre moyen de continuer à soutenir notre travail.
Comment vivez-vous ces événements (ambassade américaine à Jérusalem, répression sanglante à Gaza, tensions avec l'Iran) en tant qu'Israélien engagé dans la défense des droits de l'homme ?
Ces développements justifient notre engagement en faveur des droits de l'homme parce qu'ils conduisent à de plus grandes violations de ces droits. Nous comprenons également à quel point notre rôle est essentiel et à quel point la compréhension et l'acceptation des droits humains fondamentaux sont fragiles. En bref, de tels développements dévastateurs nous fournissent plus de travail, mais dans un environnement beaucoup plus hostile avant tout dirigé, et je suis désolé de le dire, par le Premier ministre Benjamin Netanyahou et son gouvernement. Les attaques contre la minorité palestinienne et les groupes libéraux sont à leur apogée. Mais nous avons aussi beaucoup de soutien. Quand le gouvernement dépeint une image où l'on est «avec nous ou contre nous», couplé à des actions et des politiques très agressives et même violentes contre la démocratie et les Palestiniens, il y a aussi des Israéliens qui comprennent que ces développements sont très dangereux. Et oui, il y a un groupe fort en Israël qui croit aux droits de l'homme, à la démocratie et au droit des Palestiniens à vivre dans la liberté et non sous occupation et blocus.