Le dossier Tala-Kasserine est le septième transmis par l’Instance aux chambres spécialisées, treize en tout couvrant toute la République. Il concerne vingt personnes décédées et seize blessés. Entre le 8 et le 12 janvier 2011 à Tala et Kasserine, deux villes pauvres et enclavées du centre-ouest de la Tunisie, vingt personnes et plusieurs dizaines de blessés sont tombés victimes des balles réelles de la police. Ces journées de colère précédant le départ précipité du président Ben Ali le 14 Janvier 2011, sont les plus meurtrières qu’ait connues cette région pendant la période de protestation de la population contre le régime dictatorial de l’ex chef d’Etat. En utilisant la force létale, contre des manifestants pacifistes, le pouvoir voulait étouffer dans le sang la révolution, qui grossissait de jour en jour.
« Plus de sept ans après les meurtres, rouvrir ces dossiers apporte aux victimes et survivants une nouvelle opportunité que justice soit rendue à leur souffrance », a déclaré Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis à Human Rights Watch. « Il s’agit d’une étape significative de l’avancée difficile de la Tunisie vers la justice transitionnelle», lit-on dans un long communiqué publié le 23 mai par l’ONG à l’occasion du retour sur la scène judiciaire des fameux « procès de la Révolution ».
24 accusés dont le Président Ben Ali et son ministre de l’Intérieur
Human Rights Watch avait auparavant suivi, analysé et commenté tous les procès à ce sujet qui se sont déroulés entre 2012 et 2014. L’organisation s’était également inquiétée des lacunes constatées au cours de ces procès. Particulièrement ceux se déroulant devant des tribunaux militaires, considérés comme partiaux par HRW. L'ONG avait aussi mis en garde après les jugements trop légers prononcés le mois d’avril 2014 contre les 53 cadres sécuritaires en fonction au ministère de l’Intérieur pendant la période du soulèvement, où 132 manifestants ont été tués et quelques1452 personnes blessées.
« La procédure judiciaire n’a pas rendu justice aux victimes et la vérité impliquant de hauts responsables n’a pas été révélée », insiste Amna Guellali.
Les nouveaux procès, dont la date n’a pas encore été fixée, concerneront 24 accusés, dont Ben Ali (en fuite en Arabie Saoudite), le ministre de l’Intérieur de l’époque, Rafik Hadj Kacem, et les officiers qui commandaient les services de sécurité, inculpés d’homicides et de crimes contre l’humanité. Pour la directrice de HRW, ces tristes événements de janvier 2011 sont bien des crimes contre l’humanité « puisqu’il s’agit d’attaques systématiques et méthodiques contre une population civile. C’est un plan conçu délibérément pour tuer, blesser et torturer », précise-t-elle.
« La responsabilisé de commandement » contre le déficit de preuves
Par ailleurs, Amna Guellali avait relevé précédemment que la question de « la responsabilité de commandement » incarnait un des problèmes qui pouvaient se poser aux chambres spécialisées au moment de rendre leur verdict. « la loi tunisienne est mal outillée pour s’attaquer à la responsabilité du commandement, un concept clé du droit pénal international, qui rend les commandants militaires et les supérieurs hiérarchiques civils responsables des crimes graves commis par leurs subordonnés, si ces supérieurs étaient au courant de ces crimes, ou avaient des raisons de l’être, et n'ont pris aucune mesure raisonnable pour les empêcher ou les sanctionner », alerte le communiqué de HRW.
Ce faisceau d’indices concomitants peut se substituer, selon Amna Guellali, au camouflage des preuves dont est capable la haute hiérarchie sécuritaire. L’organisation humanitaire recommande qu’à l’occasion de ce procès emblématique des victimes du soulèvement populaire le législateur tunisien introduise une nouvelle disposition sur la « responsabilité du commandement » dans le code pénal, « conforme à la façon dont il est défini en droit international et (que soit) intégré le Statut de Rome dans la législation tunisienne », ajoute le communiqué.