Condamné il y a deux ans à 18 ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, Jean-Pierre Bemba a finalement été acquitté par la chambre d’appel de la Cour pénale internationale. La décision en faveur de l’ex vice-président de la République démocratique du Congo le 8 juin fait de nouveau la lumière sur les défaillances de la Cour, entachant plus encore une crédibilité passablement érodée.
L’acquittement de Jean-Pierre Bemba sera-t-il fatal à la Cour pénale internationale (CPI) ? La question affleurait, vendredi, sous l’effet du choc suscité par la décision de la chambre d’appel. Au-delà des solides arguments juridiques de la majorité des juges, la libération probable, dans les jours à venir, de l’ex vice-président de la République démocratique du Congo (RDC), annonce à tous le moins des mois difficiles pour la Cour. Pour ajouter à la surprise, cette décision tombe à un moment triplement symbolique : pour la Cour, pour la RDC et pour la Centrafrique. Rendu à un mois des célébrations des vingt ans du traité fondateur de la Cour, signé à Rome le 17 juillet 1998, l’arrêt rendu le 8 juin vient évidemment éroder plus encore l’espoir placé par beaucoup dans cette juridiction, dont les 5229 victimes représentées dans l’affaire Bemba. L’acquittement tombe aussi quelques jours après le démarrage de l’enquête de la Cour pénale spéciale (CPS), établie en Centrafrique pour juger notamment les auteurs de crimes de guerre en cours dans le pays, alors que la CPI n’aura pas rendu justice dans la guerre de 2002/2003. Enfin, l’acquittement de l’homme d’affaires congolais intervient six mois avant l’élection présidentielle prévue en République démocratique du Congo (RDC). Lors de précédentes échéances, le politicien de 55 ans avait tenté, depuis sa cellule, de présenter sa candidature à la magistrature suprême. De l’avis de nombreux experts du pays, l’arrêt du 8 juin pourrait sérieusement changer l’équation politique à Kinshasa.
Un florilège d’erreurs juridiques
L’arrêt de la chambre d’appel, adopté à la majorité, pointe les défaillances des juges de première instance et du bureau du procureur. Trois des cinq juges d’appel épinglent la conduite des procédures depuis leur démarrage. En 2008 déjà, le bureau du procureur avait dû s’y prendre à deux fois pour obtenir des juges un mandat d’arrêt contre Jean-Pierre Bemba. Luis Moreno Ocampo (prédécesseur de la procureure Fatou Bensouda) avait fini par convaincre les magistrats, assurant que l’ex vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) s’apprêtait à quitter la Belgique et l’Europe et pourrait donc, faute de mandat d’arrêt, échapper à ses responsabilités. A l’époque de son arrestation par la police belge, Jean-Pierre Bemba était pressenti pour devenir porte-parole de l’opposition au parlement congolais, un tremplin pour prendre la tête du pays. Depuis son incarcération à La Haye et tout au long des procédures, le procureur avait dû ajuster son dossier à la demande des juges, donnant l’impression d’implorer l’accusation de lui fournir les éléments leur permettant de condamner. Mais l’arrêt rendu vendredi constitue un sérieux revers pour la chambre de première instance alors présidée par Sylvia Steiner. A l’époque, les juges avaient pourtant délibéré pendant 16 mois, forçant même la magistrate brésilienne à étendre la durée de son propre mandat à la Cour, pour un résultat finalement désastreux. Les juges de la chambre d’appel pointent de nombreuses erreurs de procédure : erreurs dans l’évaluation des preuves, utilisation trop extensive du ouï dire, absence de vérifications des sources, incompréhension du « doute raisonnable ». Ils précisent aussi que parmi les victimes représentées dans le procès, certaines ont été admises alors que les crimes qu’elles ont subis ne figuraient pas dans les accusations du procureur. Un procureur qui n’est pas épargné par l’arrêt du 8 juin. C’est la médiocrité des enquêtes, et la faiblesse de la thèse de l’accusation, qui a aussi conduit à l’échec. Sur le fond, l’arrêt de la CPI aura peu de conséquences sur le procès futur de supérieurs hiérarchiques, dont les juges ne remettent pas en cause la responsabilité, mais tentent d’en préciser les contours. Jean-Pierre Bemba avait été condamné en première instance pour ne pas avoir prévenu et puni les meurtres, les viols et les pillages commis en Centrafrique par ses soldats du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), qu’il avait envoyés soutenir le régime vacillant d’Ange Félix Patassé. Pour la chambre d’appel, M. Bemba ne peut être responsable de crimes commis à l’autre bout de la chaine de commandement, par un simple soldat. D’autant qu’il se trouvait alors à plusieurs milliers de kilomètres des crimes, occupé à négocier sa place dans la période de transition qui s’ouvrait en RDC. Pour trois des cinq juges, M. Bemba aurait dû remplacer ses commandants en poste sur le terrain.
Qualité, précision, exactitude
Les juges d’appels n’ignoraient pas la surprise que susciterait leur décision. « Certains peuvent trouver notre approche trop exigeante » écrivent les juges Howard Morrison et Christine van de Wyngaert dans une opinion expliquant leur décision. « L'application stricte de la norme de preuve peut dans certains cas conduire à l'acquittement de personnes qui pourraient effectivement être coupables » écrivent-ils, laissant comprendre qu’ils ne proclament pas l’innocence de M. Bemba. Si « de tels cas sont regrettables, nous croyons que c’est le prix à payer » pour une justice de qualité. « Mettre fin à l’impunité n’a de sens que si cela se conforme pleinement aux valeurs et aux principes qui sous-tendent le processus de justice pénale dans une société ouverte et démocratique », ajoutent-ils. « A une époque où il devient de plus en plus difficile de distinguer les faits des ‘fausses nouvelles’, il est essentiel de pouvoir compter sur le pouvoir judiciaire pour respecter les normes les plus élevées de qualité, de précision et d’exactitude. » Suite à la décision, plusieurs experts, professeurs de droit international et avocats, soutenaient la décision des trois juges. « Aussi surprenant ou controversé que le résultat puisse paraître, écrivait ainsi sur twitter Sergey Vasiliev, il porte sur la régularité de la procédure et la qualité du raisonnement juridique ». Gerhard Kemp, professeur de droit, rappelait lui les limites du mandat de la Cour : « Ce que la majorité a confirmé est que la CPI est, d’abord et avant tout, une cour pénale. Ce n’est pas une commission vérité. Ce n’est pas une commission des droits de l’Homme. Elle détermine la responsabilité pénale individuelle ».
Chambre d’appel #CPI : M. Bemba demeurera en détention eu égard à une autre affaire dans laquelle il a été déclaré coupable d’atteintes à l’administration de la justice, dans l’attente d’une décision de la Chambre de première instance VII. Communiqué de presse à venir pic.twitter.com/UktfucRYYf
— CPI-Cour pénale int. (@CourPenaleInt) 8 June 2018
Trois condamnés en 16 ans
Seize ans après son installation à La Haye, le bilan de la Cour semble bien anecdotique : trois personnes ont été à ce jour condamnées pour des crimes portant sur l’enrôlement d’enfants soldats, la destruction de Mausolées à Tombouctou et le massacre de villageois. Avec Jean-Pierre Bemba, la Cour a prononcé deux acquittements. Et elle ne compte plus les non-lieux, dont le plus retentissant reste celui prononcé en faveur du président du Kenya, Uhuru Kenyatta, au terme d’une affaire sur laquelle demeurent encore aujourd’hui de nombreuses zones d’ombres. En Centrafrique et ailleurs, la procureure aura beau appelé par communiqués, à l’arrêt des crimes, seuls des dossiers solides permettront à la Cour de convaincre. Fatou Bensouda a jugé la décision « de fâcheuse et préoccupante », sans dire, à ce stade, quelles mesures elle compte entreprendre, alors qu’un nouvel échec se profile, dans l’affaire Gbagbo cette fois. Les juges ont constamment alerté le procureur sur les faiblesses de ce dossier, notamment sur le récit et l’interprétation des événements tels que présentés par le substitut Eric McDonald. En février, ils lui ont de nouveau donné l’opportunité de revoir la structure complète de l’affaire, mais l’occasion fut ignorée par le substitut canadien. A partir du 10 septembre, la Cour tiendra des audiences pour décider si les deux accusés, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, doivent, ou non, être acquittés de l’une ou de la totalité des charges portées contre eux.