JusticeInfo: Pourquoi ce thème aujourd’hui ?
Lucie Canal: Depuis quelques années, notre organisation travaille de plus en plus dans le domaine des violences sexuelles. Notamment en République démocratique du Congo (RDC) où nous représentons beaucoup de victimes de viols. C’est une expertise que nous avons renforcée au fil du temps. Nous cherchons actuellement à mettre en contact d’avantage d’acteurs impliqués dans le travail de documentation et de poursuite des crimes de violences sexuelles. Et ce alors que se renforce l’attention internationale à ce sujet. En témoigne l’initiative du gouvernent britannique de 2014 avec la publication d’un protocole international pour la documentation des violences sexuelles. Nous nous inscrivons dans cette dynamique. En 2019 se tiendra une conférence à Londres pour réviser les engagements pris en 2014. Et nous comptons y présenter les résultats concrets de notre colloque.
Les guerres ont-elles toujours suscité des violences sexuelles ?
Le viol en temps de guerre est malheureusement vieux comme le monde. C’est le regard sur ces sévices particuliers qui a évolué. Jusqu’à 1945, on considérait les viols en tant de guerre comme des dommages collatéraux, non comme véritablement des crimes.
Quand est-ce que le droit international a clairement désigné les violences sexuelles comme des crimes de guerre ?
La première mention explicite du viol remonte à la 4e Convention de Genève, sans être toutefois considéré comme un grave crime de guerre. Ce sont les tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda qui ont permis de définir plus précisément ces crimes dans le droit international. Et c’est avec le Statut de Rome définissant le rôle de la Cour pénale internationale qu’on a pu établir une définition des éléments constituant le crime de viol et de violences sexuels en temps de guerre ou de répressions violentes. Ce qui inclut par exemple la prostitution forcée, les grossesses forcées ou l’esclavage sexuel.
Nous sommes passé d’une conception du viol comme une agression à l’encontre d’une propriété de l’homme à une violation de l’intégrité physique et de la dignité humaine des victimes. Il ne faut pas oublier que ces crimes et leur perception font partie de dynamiques patriarcales qui existent d’abord en temps de paix.
Autrement dit, cette prise de conscience s’inscrit dans le mouvement d’émancipation des femmes ?
C’est intrinsèquement lié. La reconnaissance des violences sexuelles en temps de guerre va de pair avec la reconnaissance de l’égalité entre hommes et femmes et des violences sexuelles en temps de paix.
Lucie Canal (Trial) :
Nous travaillons avec des victimes qui n’ont jamais pu en parler à qui que ce soit. Et si elles le faisaient, elles seraient exclues de leur communauté.
Le viol est aussi une arme de guerre pour détruire une communauté dans son ensemble ?
C’est en effet aussi comme ça que ce crime est aujourd’hui compris par la justice internationale pour être considéré comme un acte de génocide.
Au TPIY par exemple, il a été reconnu comme un moyen utilisé pour détruire l’ensemble d’un groupe ethnique, confessionnel ou autre.
Cette évolution dans la prise de conscience du viol comme crime de guerre a-t-elle permis de lever le tabou qui empêchent les victimes d’en parler au sein de leurs communautés ?
Il y a clairement une évolution. Car un nombre croissant d’acteurs de la société civile s’engagent auprès des victimes que ce soit en termes d’aide juridique, médicale, psychologique. Et la conférence que nous organisons vise justement à mettre en contact ces différents acteurs pour assurer un soutien aussi large que possible aux victimes et faire face à leur trauma.
Mais les situations peuvent être très diverses. Au Népal, il y a eu beaucoup de violences sexuelles pendant la guerre de 1996 à 2006, une réalité qui reste excessivement tabou. Nous travaillons avec des victimes qui n’ont jamais pu en parler à qui que ce soit. Et si elles le faisaient, elles seraient exclues de leur communauté. Dans d’autres situations, comme en RDC, elles penvent dans certains cas recevoir le soutien de leur famille et leur communauté. Cela dit, tous les conflits n’engendrent pas de tels crimes. Et les viols en temps de guerre ne sont pas toujours perpétrés pour les mêmes raisons.
Que cherchez-vous à atteindre avec ce colloque organisé à Genève ?
Lors de la conférence publique organisée lundi soir, nous voulons faire le point et montrer les avancées opérées ces dernières années sur le plan juridique, soit la documentation et les poursuites à l’encontre des auteurs de ces crimes de violences sexuelles. Et le lendemain, nous avons une journée de travail rassemblant une quarantaine de représentants d’ONG avec deux objectifs : lister les outils, les techniques, les procédures permettant de documenter et poursuivre les crimes de violences sexuelles. Cela va des applications mobiles sur le terrain pour collecter des éléments de preuves aux stratégies innovantes devant les tribunaux pour obtenir des réparations pour les victimes. Et dans un 2ème temps, nous aimerions identifier les priorités des acteurs de la société civile dans ce domaine et les outils nécessaires à l’accomplissement de ces priorités. Il y a un grand potentiel dans cette collaboration, alors que chaque acteur a tendance à rester dans son territoire. Nous avons vu en RDC que nombres d’acteurs travaillent avec des spécificités qui peuvent intéresser d’autres ONG. En collaborant, nous pouvons avoir un impact beaucoup plus important.