En décembre 2017, la Cour militaire du Sud-Kivu avait condamné l’élu provincial Batumike et 11 de ses codétenus, tous adeptes de la milice «Jeshi la Yesu » (l’armée de Jésus, en swahili), à la perpétuité pour crimes contre l’humanité par viols et meurtres. Ils avaient notamment été reconnus coupables de viols «systématiques et généralisés», entre 2013 et 2016, d’une quarantaine de filles âgées de 8 mois à 12 ans, dans le village de Kavumu, dans la province du Sud-Kivu. Cette condamnation d’une personnalité politique avait donné au procès un caractère pédagogique et historique. Car, commentait Daniele Perissi, responsable du programme RDC à l’ONG Trial international, c’était « la première fois en RDC qu’un politicien en poste [était] reconnu coupable, en tant que supérieur hiérarchique, des crimes commis par lui-même et la milice qu’il contrôlait et finançait ».
Mais les condamnés ont interjeté appel, demandant l’annulation des conclusions du premier juge. Près de six mois après, c’est donc un procès en appel de tous les enjeux qui s’est ouvert à Bukavu, capitale régionale du Sud-Kivu. La Haute cour militaire, instance d’appel dans le cas d’espèce, s’est déplacée de Kinshasa pour examiner les motifs d’appel des condamnés.
L’immunité comme principal argument de la défense du député
Le jeudi 14 juin, les juges militaires ont entamé l’instruction de l’affaire. Une juridiction militaire pour juger des prévenus civils, car ces derniers sont accusés d’avoir possédé des armes dans le cadre des activités de leur milice. Même si ce sont tous les condamnés à perpétuité qui sont allés en appel, des analystes politiques estiment que la défense tente surtout de sauver le parlementaire provincial Batumike. Car, tout au long des audiences de jeudi, vendredi et samedi derniers, la défense n’a eu de cesse de faire valoir les immunités liées, selon elle, au mandat de l’élu. « L’œuvre du premier juge exprime un acharnement contre notre client, parce qu’il est opposant au gouvernement du Sud-Kivu. C’est un jugement inconstitutionnel violant la loi. Car au vu de sa qualité officielle de député provincial, notre client aurait dû jouir de ses immunités. Cela aurait dû l’épargner de toute cette procédure d’arrestation dont il a été victime. Malheureusement, la cour militaire du Sud-Kivu n’a pas tenu compte de cela », a expliqué à Justiceinfo.net, maître Jean Bosco Makuza, l’un des avocats de la défense. « Au vu du bon climat dans lequel se déroule le procès (en appel: ndlr), nous espérons que la Haute cour militaire pourra réexaminer cette exception d’inconstitutionnalité», a ajouté l’avocat.
De leur côté, les parties civiles estiment que les arguments de la défense de Batumike ne sont pas assez solides pour convaincre les juges d’appel d’annuler l’arrêt de la juridiction inférieure. « Le camp Batumike semble ignorer l’esprit du traité de Rome (ndlr : créant la Cour pénale internationale, à laquelle la RDC est partie) qui note qu’en matière des crimes internationaux, notamment les crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de génocide, la qualité officielle du prévenu n’est pas prise en compte », argumente Charles Cubaka Cikura, porte-parole du Collectif des avocats des parties civiles.
Redonner espoir aux victimes
L’avocat espère donc que la Haute cour militaire confirmera le jugement de première instance. « Lors du premier procès, la culpabilité de Frédéric Batumike et ses co-accusés a été prouvée en faits et en droit. C’était une victoire pour la quarantaine de victimes que nous accompagnons. Nous espérons que la Haute cour va leur redonner espoir en reconduisant l’œuvre du premier juge. Notre souhait est de voir ce procès en appel être vite clôturé pour qu’on déclenche l’action de réparation en faveur des victimes. Elles en ont vraiment besoin pour leur reconstitution », espère-t-il.
Jusqu’à présent, Trial International, l’une des organisations qui avaient documenté les crimes de Kavumu, se réjouit du bon déroulement du procès. Car, fait -elle remarquer, « en siégeant exceptionnellement à Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, les juges de la Haute cour militaire seront ainsi au plus près des lieux des crimes, des preuves et des témoignages des victimes » pour rendre une bonne justice. « Il est rare que la Haute cour militaire se déplace hors de Kinshasa (...) Cela prouve que les autorités ont à cœur d’entendre les victimes », se réjouit Guy Mushiata, coordonnateur des droits humains pour Trial international.
Ce feuilleton judicaire, très suivi dans le Sud-Kivu, porte sur le viol d’une quarantaine d’enfants de 8 mois à 12 ans à Kavumu, dans le Sud-Kivu, entre 2013 et 2016. Des fillettes étaient enlevées de nuit et violées loin de leurs domiciles par des adeptes présumés de la milice «Jeshi la Yesu», du député provincial Frédéric Batumike. Selon des sources proches du dossier, ces bourreaux pensaient acquérir ainsi une force surnaturelle. Près de cinq ans après les faits, la Cour militaire du Sud-Kivu avait tenu un procès «historique» ayant abouti à la condamnation, en décembre 2017, du député provincial et 11 de ses coaccusés à la perpétuité, de deux autres à une année de prison. Six autres prévenus avaient été acquittés.
Durant leur séjour à Bukavu, les plus hauts juges militaires de RDC examineront trois autres affaires en appel pour violences sexuelles perpétrées par des anciens miliciens.
.