Le nouveau gouvernement socialiste espagnol est décidé à retirer les restes du dictateur Francisco Franco de son mausolée près de Madrid pour en faire un lieu de "réconciliation" dans un pays où le débat reste entier sur le travail de mémoire.
"Nous n'avons pas encore la date, mais le gouvernement va le faire", a assuré le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez dans sa première interview télévisée depuis sa prise de fonction le 2 juin.
Il a rappelé que le parlement avait déjà demandé dans une résolution en 2017 l'exhumation des restes du dictateur, qui seraient remis à sa famille, et la transformation du mausolée de la "valle de los Caidos" (vallée de ceux qui sont tombés) en "mémorial des victimes du fascisme".
"L'Espagne ne peut pas se permettre des symboles qui divisent les Espagnols", a poursuivi le chef du gouvernement, estimant que ce qui serait inimaginable en Allemagne et en Italie, "qui ont aussi connu des dictatures fascistes" devait l'être aussi en Espagne.
L'objectif est de convertir le mausolée "en lieu de réconciliation (...) et non d'apologie de la dictature", a souligné de son côté Oscar Puente, porte-parole du Parti socialiste (PSOE).
- Un complexe monumental -
Vainqueur d'une sanglante guerre civile (1936-1939), Francisco Franco a été chef de l'Etat espagnol de 1939 à 1975.
La "Valle de los Caidos" est un complexe monumental commémorant la guerre civile qu'il avait imaginé et fait construire, à 50 km à l'est de Madrid.
Il y est inhumé près de l'autel de la basilique surmontée d'une croix de pierre de 150 mètres de haut. Sa tombe toujours fleurie voisine avec celle du fondateur du parti fascisant de La Phalange, Jose Antonio Primo de Rivera.
Au nom d'une prétendue "réconciliation" nationale, Franco y avait par ailleurs transféré les restes de plus de 33.000 victimes - nationalistes et républicaines - de la guerre civile. Généralement sans même en avertir les familles et alors qu'entre 1941 et 1959, ce complexe fut en partie construit par des prisonniers républicains, contraints au travail forcé et parfois morts sur le chantier.
En décembre dernier, le PSOE alors dans l'opposition avait déjà déposé une proposition de loi prévoyant le déplacement des restes de Franco mais aussi de ceux de Primo de Rivera.
Il était aussi question dans ce texte de la création d'une "commission de la vérité" ou de l'annulation des décisions de justice prises durant la dictature pour des raisons politiques.
Sanchez avait présenté cette proposition dans un lieu symbolique près de Valence où plus de 2.000 républicains auraient été fusillés. "Si on ignore un passé inconfortable, on ne peut pas construire un futur confortable", avait-il alors dit.
- 'Batailles culturelles, conflits artificiels' -
Quarante-trois ans après la mort du dictateur, les plaies sont loin d'être refermées et la question du travail de mémoire divise toujours en Espagne.
"Le parti socialiste nous a habitués à mener ces batailles culturelles" qui "n'apportent rien à la coexistence et à la concorde", a jugé Andrea Levy, responsable du Parti Populaire (PP) de Mariano Rajoy, la formation ayant succédé à l'Alliance Populaire fondée pendant la transition démocratique par d'anciens ministres franquistes.
"L'histoire de la récente démocratie espagnole est une histoire de fraternité et de dépassement des moments les plus tristes", a-t-elle affirmé.
Le parti libéral Ciudadanos a affiché en revanche son ouverture tandis que la gauche radicale de Podemos, principale force au parlement après le PSOE à avoir porté M. Sanchez au pouvoir, a salué cette initiative.
Pablo Echenique, l'un des cadres de la formation, a ainsi dénoncé la présence d'un "dictateur génocidaire dans un mausolée gigantesque à qui on rend les honneurs alors qu'il y a des dizaines de milliers de morts (républicains) dans les fosses communes".
Dans "The Spanish Holocaust", l'historien britannique Paul Preston évalue à 200.000 les morts au combat, et avance le même chiffre pour les assassinats et les exécutions, dont 150.000 victimes des franquistes.