Juriste de formation, militant des droits de l'Homme et spécialiste des questions de gouvernance, le jeune universitaire burundais René Claude Niyonkuru redoute que l'obstination du président Pierre Nkurunziza à briguer un troisième mandat à la tête de son pays, en dépit d'un vaste mouvement de contestation interne, ne replonge le Burundi dans la guerre civile.
JusticeInfo.Net : Craignez-vous que le Burundi soit parti pour une nouvelle crise de longue durée ? La contestation risque –t-elle de se poursuivre même après une victoire électorale de Pierre Nkurunziza ?
René Claude Niyonkuru : La probabilité de voir le président Nkurunziza renoncer au 3ème mandat s'est presque déjà éclipsée de l'horizon, après autant d'appels des Burundais et de la communauté internationale à y renoncer pour l'intérêt de la stabilité politique du Burundi. Toutes les opportunités qu'il y avait dans ce sens n'ont pas été saisies et cela de manière délibérée. (…) Une fois réélu, à travers un processus électoral perçu de plus en plus comme une sorte de blanchiment politique d'une intention anti-démocratique de s'accrocher au pouvoir mûrie à l'avance, le risque est là de voir plus de répression contre l'opposition politique, la société civile, les médias,… Plus la répression va s'intensifier, plus le risque sera grand pour l'opposition aussi de recourir à l'usage de la force. Et cela risque d'engendrer un engrenage de la violence. Beaucoup d'acteurs nationaux et internationaux craignent que le pays ne replonge dans une guerre civile et appellent à plus de retenue au niveau interne et de vigilance de la part de la communauté internationale. Il y a plein de signaux alarmants, mais espérons tout de même le pays ne va pas en arriver là.
JusticeInfo.Net : Y a -t-il pas un risque que la crise actuelle ravive la haine ethnique ou exacerbe les tensions entre Hutus et Tutsis ?
Claude Niyonkuru : Une analyse un peu objective de la crise politique actuelle montre à suffisance que les problèmes qui se posent aujourd'hui dépassent de loin l'angle ethnique. Il s'agit d'une crise politique sur fond d'une mauvaise gouvernance politique et économique, d'une violation massive des libertés individuelles et publiques, d'une monopolisation du pouvoir par une seule formation politique, etc.
Mais nous ne pouvons pas non plus sous-estimer la tentation d'ethniciser la crise actuelle ; telle est d'ailleurs aujourd'hui la tentation du pouvoir qui veut à tout prix diluer le mouvement de contestation en le présentant comme essentiellement porté par la minorité Tutsi. Des insinuations et même des discours ouverts de la part de certains cadres du parti au pouvoir ont, dès le début des manifestations, cherché à convaincre l'opinion que le mouvement n'implique que des Tutsi parfois en faisant référence à une suRenépposée composition mono-ethnique des quartiers qui manifestent le plus ; alors même que la présence de toutes les ethnies au sein des manifestants est une évidence. Les Hutu qui participent activement aux manifestations ont même été présentés dans certains coins du pays comme des traîtres.
JusticeInfo.Net : La tentative de putsch échouée a révélé des divisions au sein de la nouvelle armée burundaise. Quelles sont les bases de cette division ? Ethniques, régionales ou autres ?
René Claude Niyonkuru : La confiance en cours de construction depuis quelques années au sein de ce corps risque de subir un coup de froid et d'aboutir à sa politisation et son ethnicisation. Une certaine opinion associe loyalistes aux anciens combattants du CNDD-FDD et putschistes aux anciens membres des Forces Armées Burundaises, l'ancienne armée gouvernementale, alors même que les militaires qui portaient la tentative de putsch étaient de toutes les provenances, anciens rebelles et anciens militaires gouvernementaux.
La gestion de cette tentative (de coup d'Etat) sera déterminante; s'il y a une procédure judiciaire qui permet d'établir clairement les responsabilités individuelles des acteurs de la tentative, la sérénité au sein de ce corps pourra être retrouvée rapidement. Si, par contre, le pouvoir investit dans la chasse aux sorcières, avec la tentation de suivre les lignes ethniques ou régionales, ou selon les corps de provenance, il est à craindre des divisions plus profondes pouvant même conduire à la longue à une désintégration de ce corps, alors qu'il était jusqu'à présent considéré comme un modèle de réconciliation et un pilier de la stabilité politique au Burundi.
JusticeInfo.Net : Quelle contribution pourrait apporter la communauté internationale à la résolution de la crise ?
René Claude Niyonkuru : A ce sujet, j'ai plus de questionnements que de réponses ; nous avons souvent assisté à des cafouillages et des hésitations de longue durée dans pareilles situations, avant que ne soient prises des décisions plus fortes comme les sanctions politiques et/ou économiques ou l'envoi d'une force d'interposition. Le cas du Rwanda en 1994 a montré des failles incroyables à ce niveau. Le sommet des Chefs d'Etat de la Communauté Est-Africaine, qui était prévu à Dar-Es-Salaam en date du 13 mai 2015 et qui n'a malheureusement pas pu avoir lieu suite à la tentative de putsch, aurait pu nous permettre de prendre la mesure du genre et du sérieux des initiatives régionales pour résoudre la crise, au-delà de la rhétorique des condamnations et des appels au calme.
Il ne faut pas non plus oublier que la communauté internationale vient souvent pour accompagner des efforts déjà existants au niveau interne. C'est là par ailleurs où se trouve le défi pour le moment. Je serai plus intéressé par des dynamiques internes en vue de la résolution de cette crise, dynamiques internes qui tardent malheureusement à venir et à se consolider.
JusticeInfo.Net : Qu'est-ce que les Burundais peuvent attendre de la Commission Vérité et Réconciliation ?
René Claude Niyonkuru : Il n'y a pas d'attentes extraordinaires à avoir de la part de la Commission Vérité et Réconciliation -récemment mise en place - dans la résolution de cette crise ou même dans le processus de recherche de la vérité et de la réconciliation des Burundais dans l'ensemble. Sa mise en place a été par ailleurs un des symptômes de la rupture de confiance entre les acteurs nationaux, vu qu'elle n'a pas bénéficié du soutien des partis de l'opposition ou de la société civile. Sa composition reflète aussi, à l'exception de quelques figures qui font l'unanimité, le souci de domination et de contrôle par le parti au pouvoir. Le mandat lui assigné a éludé volontairement le volet judiciaire, alors que le besoin de justice dans un pays qui a souffert de nombreux cycles de conflits sanglants est primordial. Ces défauts de départ suffisent à eux seuls à la rendre peu apte à accomplir sa mission, encore moins à contribuer à la désescalade de la présente crise.
JusticeInfo.Net: Quelle serait alors la solution à la crise actuelle ?
René Claude Niyonkuru : Je plaide pour un dialogue politique franc et sincère, aboutissant à l'assainissement du climat socio-politique en vue de la préparation des élections. De mon point de vue, celles-ci doivent être remises à plus tard si nous voulons qu'elles soient inclusives et crédibles. Les acteurs politiques devraient notamment s'engager à reconsidérer leurs positions politiques, y compris la question en rapport avec la candidature controversée du Président actuel ainsi que l'épineuse question du cadre d'exercice des libertés individuelles et publiques. L'opposition politique, les médias, la société civile, etc. doivent de nouveau jouer leur rôle en toute liberté. Les avancées en rapport avec la paix et la sécurité, les libertés individuelles et publiques, la reprise économique et la stabilité du pays dans l'ensemble ne devraient pas être sacrifiées à l'autel des intérêts égoïstes des dirigeants politiques, quelles que soient leur légitimité revendiquée et la légalité ou non des textes qui servent de base à leur quête ou maintien du pouvoir. Le peuple burundais aspire à mieux.