Dans un courrier adressé le 29 juin à Federica Mogherini, diplomate en cheffe de l’Union européenne (UE), 34 députés du parlement de Strasbourg réclament la désignation, d’urgence, d’un représentant spécial de l’UE pour le droit humanitaire international et la justice internationale. Les signataires suggèrent que la décision soit prise pour les vingt ans de l’adoption du traité de la Cour pénale internationale, le 17 juillet. Pour Ana Maria Gomes, à l’origine de la lettre, « personne ne fait ce qu’il faut pour que les responsables de crimes soient effectivement jugés, par exemple dans le cas d’Omar Al Bachir », sur lequel pèsent deux mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes commis au Darfour, et « en particulier dans le cas de la Syrie et de Bachar Al Assad. » Tout « cela requiert une stratégie politique », estime la députée portugaise, jointe par téléphone.
L’impunité, nouvelle norme ?
Les signataires souhaitent que l’Europe prenne le leadership pour faire respecter le droit international humanitaire. Ils notent « des reculs profondément inquiétants » et estiment que « sans intensifier les efforts visant à promouvoir le respect du droit international humanitaire et à poursuivre sans relâche la justice pour les victimes, il existe un risque réel que l’impunité devienne la nouvelle norme ». L’Union européenne dispose de quelques outils, dont un point focal avec la CPI, ou le réseau génocide au sein d’Eurojust. Elle consacre des budgets importants aux instruments de justice internationale. Depuis 2002, elle a ainsi participé à hauteur de 40 millions d’euros à la CPI, par des financements directs à l’institution, ou via la société civile. Elle participe aussi au financement des tribunaux ad hoc, pour le Cambodge, le Liban et le Kosovo, et aux initiatives de collectes de preuves sur la Syrie. Mais pour les parlementaires, il manque un interlocuteur capable d’engager l’Europe dans les débats aux Nations unies ou dans les enceintes multilatérales. Selon le courrier, il existe « un écart important et persistant en ce qui concerne la mise en œuvre cohérente des engagements politiques et la disponibilité des instruments de l'UE, affaiblissant ainsi l'efficacité de l'action de l'UE. » Avec la création des tribunaux ad hoc, au début des années 1990, le département d’Etat américain s’était doté d’une section crimes de guerre et d’un ambassadeur, salués pour leur maitrise de la justice internationale et leur efficacité à actionner les leviers politiques en adéquation avec les intérêts des Etats-Unis.
Des instruments, mais pas de politique globale
Du côté de l’UE, on semble ramener la question à un simple aspect de sa politique en faveur des droits de l’Homme. Ce n’est pas la première fois que la question est évoquée au niveau européen, mais « nous n’avons jamais obtenu de réponse clair », explique Ana Maria Gomes. « Peut-être que certains Etats n’aimeront pas cela, mais une fois la décision prise ils ne pourront pas la défaire », ajoute-t-elle, car la décision ne relève pas des gouvernements de l’Union, de la seule volonté de la cheffe de la diplomatie européenne. Huit jours après réception de la lettre, Federica Mogherini n’avait toujours pas répondu à la demande des parlementaires. Mais l’appel des parlementaires n’a néanmoins pas convaincu. « Nous avons des représentants spéciaux régionaux dont les mandats se chevauchent en partie » explique à Justice Info une porte-parole de l’Union européenne, montrant que la question de la justice internationale n’est pas considérée comme une question globale par la diplomatie européenne. « Dans les pays où le droit international humanitaire et ou la justice pénale internationale est un problème, plusieurs acteurs de haut niveau sont engagés sur des questions étroitement liées », explique à Justice Info une porte-parole de l’Union européenne. « Une multiplication des interlocuteurs pourrait créer une confusion chez les partenaires internationaux et pourrait également affecter la cohérence des actions et des messages de l'UE », ajoute-t-elle, assurant qu’ « aborder ensemble » les droits de l’Homme et le droit international humanitaire « garantit la cohérence de la politique à la fois dans des situations de pays spécifiques et dans le cadre international. »