Des juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont ordonné l’ouverture d’un programme de sensibilisation pour les victimes de la situation en Palestine. Une décision qui marque un nouveau tournant dans ce dossier.
Le 13 juillet 2018, trois juges ont ordonné au Greffe d’ouvrir un programme d’outreach, à destination « des communautés affectées et en particulier des victimes de la situation en Palestine ». Pour les juges, le Greffe doit établir « un système continu d'interaction entre la Cour et les victimes, résidant à l'intérieur ou à l'extérieur de la Palestine ». La décision précise qu’à ce stade, le programme vise à informer la population des procédures de la Cour, mais que les plaintes éventuelles doivent être adressées au bureau du procureur. Le 22 mai, l’Autorité palestinienne avait référé à la CPI tous les crimes commis sur le territoire palestinien depuis la guerre de l’été 2014 à Gaza, dont au premier chef la colonisation. « Israël maintient, élargit et protège le régime de colonisation en commettant des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et le crime d’apartheid », avait dénoncé le ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, Riyad Malki, lors d’une conférence de presse à La Haye. La Palestine a adhéré à la Cour en janvier 2015, mais Ramallah avait jusqu’à mai 2018, reporté toute saisine expresse de la juridiction.
Menaces américaines
De son côté, la procureure, qui en janvier 2015 a ouvert un examen préliminaire, n’a toujours pas indiqué si elle comptait ou non passer au stade de l’enquête, mais précisait, dans son dernier rapport, « que la situation en Palestine pose des difficultés particulières quant aux questions de fait et de droit ». Israël rejette le terme d’occupation, mais évoque des territoires contestés. Le bureau du procureur dit aussi buter sur le caractère, international, ou non, du conflit de 2014 à Gaza. Surtout, Tel Aviv conteste l’existence même d’un Etat de Palestine, qui au plan international gagne du terrain. Depuis plusieurs années, Ramallah s’est engagée dans une politique d’adhésion aux instances internationales, dont la dernière en date, en juin, est l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Une politique à laquelle s’oppose Israël, soutenue par les Etats-Unis, qui depuis 2015, conditionnent leur aide économique à l’interdiction pour Ramallah de revendiquer le statut d’Etat à travers sa politique d’adhésion aux organisations internationales, et plus spécifiquement, de « prendre toute mesure » favorisant l’ouverture d’une enquête par la Cour, ou « de soutenir activement » une enquête qui soumettrait « les ressortissants israéliens à une enquête pour des crimes présumés contre les Palestiniens ». Selon The Times of Israel, les dernières initiatives de l’Autorité palestinienne pourraient provoquer la fermeture de la représentation à Washington. Le gouvernement israélien n’a pas commenté la décision des juges, mais le magazine en ligne cite des sources officielles selon lesquelles la décision serait « inhabituelle » et « étrange », mais ne présage en rien de la décision future de la procureure. Un ancien conseiller juridique du gouvernement évoque, lui, une décision « folle » qui serait en faveur des seules victimes palestiniennes. Or la décision de la Cour s’adresse aux victimes – en général – de la situation sur le territoire palestinien. Israël n’a jamais caché sa défiance vis-à-vis de la Cour, dont elle tente de limiter l’action. Le 16 juillet, la Knesset a adopté une loi punissant les organisations et les individus qui promeuvent des poursuites judiciaires à l’étranger contre les soldats israéliens.
Les droits des victimes
La saisine de la Cour, en mai dernier, enclenche automatiquement la désignation d’une chambre préliminaire, qui par cette décision sur l’outreach, a posé son premier acte, en rappelant que le « droit à un recours effectif » et le « droit d'accès à la justice » sont au cœur des droits des victimes. Les juges imposent des actes et un calendrier précis au Greffe, dont l’ouverture d’une page internet dédiée, sur le site de la Cour. Ils précisent que les activités de sensibilisation devront fournir aux victimes et aux intermédiaires, avocats et ONG, des informations générales sur la Cour, sur les différents organes, sur ses activités, « indiquer clairement les paramètres généraux de la compétence de la Cour par rapport à la situation en Palestine », et expliquer le rôle des victimes à chaque étape de la procédure. La décision de la chambre préliminaire est une première, alors que l’absence d’outreach en Géorgie et en Afghanistan, notamment, a suscité de nombreuses critiques au cours des deux dernières années. En Géorgie, alors que la procureure conduit une enquête depuis janvier 2016, le greffe a attendu trois ans avant de débuter effectivement, en janvier dernier, son programme de sensibilisation. Concernant l’Afghanistan, aucune action n’avait été entreprise avant que la procureure Fatou Bensouda ne dépose sur le bureau des juges, en novembre 2017, son mémoire demandant le feu-vert pour enquêter. Les juges n’ont toujours pas rendu leur décision, mais les victimes ont été invitées à communiquer avec la Cour dans des délais limités, comme le veut cette étape de la procédure. Prises de cours, plusieurs ONG avaient reproché à la Cour de ne pas avoir préparé le terrain. Même si le bureau du procureur avait ouvert un examen préliminaire sur les crimes d’Afghanistan en 2007, jusqu’au sein du gouvernement, peu étaient aguerris au fonctionnement de la Cour.