Des 18 minutes du discours radio-télévisé de leur président Alassane Ouattara, le lundi 6 août 2018, les Ivoiriens n’ont retenu que la décision d’amnistie au profit de 800 de leurs compatriotes poursuivis ou condamnés pour des infractions commises lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
Au nombre des bénéficiaires de cette mesure annoncée à l’occasion du 58è anniversaire de l’indépendance du pays, se trouve Simone Gbagbo.
Incarcérée à l’Ecole nationale de Gendarmerie à Abidjan, elle devrait recouvrer sa liberté dans le courant de la semaine.
L’épouse de l’ancien président Laurent Gbagbo actuellement détenu à La Haye, avait été condamnée en 2015 à 20 ans de prison pour « complot contre l’autorité de l’Etat, participation à un mouvement insurrectionnel et troubles à l’ordre public ».
Champagne et danses
Les « Gbagbo ou rien », comme on les appelle Abidjan, ont savouré la mise en liberté annoncée de Simone, l’une des fondatrices de leur formation politique, le Front populaire ivoirien (FPI). Réunis quelques heures après cette annonce chez Sangaré Aboudrahamane, président par intérim de l’aile du FPI restée loyale à Laurent Gbagbo, ils ont sablé le champagne, dansé et crié de joie. « La tristesse n’a jamais remplacé l’espoir dans votre cœur. Votre détermination a payé. Aujourd’hui, le temps de rire commence. S’il y eut un soir, il y aura un matin. Vive la Côte d’Ivoire. Souhaitons que ce qu’on vient d’apprendre annonce des lendemains meilleurs. La victoire est collective, je vous félicite », a déclaré Sangaré Aboudrahamane, visiblement ému.
L’autre branche du parti de Laurent Gbagbo, reconnue par les autorités ivoiriennes et dirigée par l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, a également salué la décision présidentielle. « Le FPI félicite le gouvernement pour la libération de Mme Simone Gbagbo et de tous les détenus politiques civils qui croupissaient injustement depuis de nombreuses années dans les geôles du pouvoir. C’est un geste de décrispation que le FPI apprécie à sa juste valeur », a déclaré Agnès Monnet, secrétaire générale de la branche.
Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), de l’ancien président Henri Konan Bédié, s’est également félicité de cette amnistie, en remerciant, non pas le président Ouattara, mais « la communauté internationale » et tous ceux qui ont œuvré en « secret » à la prise de cette décision.
« Merci au PRADO »
Sous couvert de l’anonymat, un conseiller du chef de l’Etat ivoirien a loué le geste de son patron. « Le président a encore montré qu’il est un homme de paix. La décrispation tant voulue est enfin là. Il est temps que tous les Ivoiriens se retrouvent ».
Parmi ceux qui ont exprimé publiquement leurs remerciements à Alassane Ouattara pour cette mesure, figure le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, pressenti comme candidat à la présidentielle de 2020. « Merci à Dieu. Merci au PRADO (président Alassane Ouattara, ndlr). Merci aux Ivoiriens. Merci pour tous les prisonniers sans exclusion. Vivre libre, c’est important ! », a -t-il notamment posté sur Facebook.
Si Simone Gbagbo va revoir les siens, elle n’en demeure pas moins poursuivie pour crimes contre l’humanité par la CPI qui ne cesse de réclamer son transfert à La Haye. Le gouvernement Ouattara refuse de la livrer.
Pour son avocat, Rodrigue Dadjé, la CPI doit tout simplement se dessaisir du dossier. « A partir du moment où Mme Gbagbo a fait l’objet de condamnation et d’amnistie, il revient à la CPI de se déclarer incompétente pour la juger. A la rentrée judiciaire, l’équipe de Mme Gbagbo présentera à la CPI une requête en irrecevabilité de la procédure et le mandat sera conséquemment annulé », assure le jeune avocat.
Des victimes en colère
Loin du soulagement général exprimé par la classe politique ivoirienne, le Collectif des victimes de Côte d’Ivoire (CVCI) a dénoncé cette décision d’amnistie. Ce collectif avait manifesté à maintes reprises pour réclamer de lourdes sanctions contre Simone Gbagbo. Joint par téléphone, Issiaka Diaby, président du CVCI, s’est dit « frustré ». « Nous avons le sentiment de voir nos droits fondamentaux sacrifiés sur l’autel du processus de réconciliation. Dans un état de droit, la réconciliation ne peut se faire au détriment du droit des victimes. La Côte d’Ivoire vient de célébrer l’impunité », a déclaré Issiaka Diaby. « On estime qu’à travers cette loi (d’amnistie : ndlr), le président vient de délivrer un permis de tuer, vient de compromettre la réconciliation nationale et de bafouer notre droit à la Justice », a-t-il ajouté.
Dans son intervention, le chef de l’Etat ivoirien a eu un mot pour les victimes qu’il a encouragées à pardonner. « A tous nos concitoyens, particulièrement ceux qui ont payé un lourd tribut lors de ces évènements douloureux, je leur demande de bien vouloir accepter de pardonner. Je voudrais leur dire qu’ils continueront de bénéficier d’une attention particulière de l’Etat ».
Parmi les 800 amnistiés, 500 bénéficiaient déjà de mesures de mise en liberté provisoire.