« La paix et la réconciliation pour tous les citoyens doivent prévaloir, indépendamment du résultat du scrutin », avait souhaité, à la veille du premier tour, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Les Nations unies ont plusieurs fois exprimé leur impatience face aux retards persistants dans la mise en application de cet accord signé il y a déjà plus de trois ans.
« On a vu les prémices d’une bonne entente. Si des candidats ont pu se rendre à Kidal, cela montre que le processus est en marche. Des efforts ont été faits pour en arriver là », assurait Drissa Kanambaye, l’un des porte-parole d’Ibrahim Boubacar Keïta, dès l’annonce des résultats provisoires du second qui donnaient son champion vainqueur avec 67,17% des suffrages.
La réélection du chef de l’Etat sortant a été confirmée, le 21 août, par les résultats définitifs publiés par la Cour constitutionnelle.
« La participation des régions du nord aux élections montre que le processus de paix avance et doit être achevé. L’idée séparatiste a été abandonnée, on peut parler d’un Mali un et indivisible. Il y a un gouverneur à Kidal et le retour de l’administration va être effectif », ajoutait Drissa Kanambaye.
Signé en mai-juin 2015 entre le gouvernement malien et les groupes armés majeurs du Nord, ce texte n’a pas eu l’impact positif attendu. Sa mise en œuvre accuse du retard. Moins de 20% des dispositions de l’Accord ont été appliqués, selon un diplomate onusien. Les combattants des groupes armés n’ont pas été désarmés, le processus de cantonnement bute à des blocages d’ordre politique et opérationnel, le Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) rencontre aussi de nombreuses difficultés à Tombouctou, Gao et à Kidal, fief des ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad, d’où était partie la rébellion indépendantiste du Mouvement national de libération de l’Azawad en 2012. Plusieurs années après sa signature, l’Accord reste au centre des tiraillements même au sein de la classe politique. Le parti officiel d’opposition, l’Union pour la République et la démocratie (URD) de Soumaïla Cissé, avait d’ailleurs promis, en cas de victoire, de le soumettre à une deuxième lecture. Pour ses nombreux détracteurs, l’accord n’est pas « inclusif ».
Reconstitution d’une armée nationale
« On a passé trois ans sur les outils périphériques de l’Accord tels que la période intérimaire, le MOC. On laisse de côté les questions fondamentales que sont les réformes institutionnelles, la libre administration. », fustige Mohamed Ould Mahmoud, porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), signataire de l’accord en 2015 et réunissant les principaux ex-groupes rebelles qui avaient des revendications séparatistes. Le 18 août dernier, la CMA avait déjà émis dans un communiqué le souhait que le président « nouvellement réélu fasse de la relance de la mise en œuvre de l’Accord une de ses premières priorités et engage le gouvernement à s’attaquer aux questions essentielles que sont notamment : les réformes institutionnelles, la reconstitution d’une armée nouvelle, le développement économique à travers la mise en place effective de la zone de développement, la justice et réconciliation. »
Attaques terroristes
Le porte-parole de la CMA ajoute qu’il faut entrer dans les grands chapitres de l’Accord. S’il pense que la priorité reste le développement des régions du nord, une armée reconstituée reste une urgence, dit-il, « pour faire un maillage propre et efficace de tout le pays pour ne pas perdre le Centre. » De fait, en plus du nord, la situation sécuritaire est fragile au centre du pays. En 2013, les forces djihadistes ont été défaites par l’intervention militaire franco-africaine. Si en 2018 aucune région du nord n’est sous la coupe réglée des djihadistes, la situation est loin d’être rose. Le centre du pays est en proie à des attaques terroristes et des conflits intercommunautaires qui ont créé des fractures sociales et provoqué le retrait d’une grande partie de l’administration. Selon Baba Dakono, chercheur à l’Institut d’études de sécurité, basé à Bamako, « il y a le défi de prendre en compte les combattants du centre et de les faire accepter par les partenaires dans le cadre du DDR ». Il explique que si les dispositions relatives à la mise en place des autorités intérimaires ont connu un début d’exécution, il n’y a toujours pas d’accord sur leurs pouvoirs et la durée de leur mandat.Pis, elles ne sont pas acceptées par les communautés au nord qui estiment « qu’elles sont issues des groupes armés qui ne sauraient les diriger. » Par ailleurs, ajoute-t-il, « les mesures spéciales prises pour les régions du nord doivent être élargies aux autres régions. »
Enjeux économiques
« Il faut attendre de voir quelles vont être les premières lignes des discours présidentiels vis-à-vis de l’Accord et les actions. Si elles concernent le DDR, le MOC, on peut partir de l’hypothèse que le pouvoir cultive ces objets périphériques pour gagner du temps. Mais je crois qu’il ne va pas s’appuyer sur les termes centraux de l’Accord. Tout est fait pour éviter les vraies problématiques en termes de développement économique », ajoute le diplomate, qui estime que « le jeu des acteurs est aussi lié au enjeux économiques qu’on évite d’aborder. L’Accord se situe entre ces triades : fuite en avant, enjeux matériels et intérêts privés. » Or, du côté de la CMA, on estime plutôt qu’avant la nomination de Soumeylou Boubèye Maïga à la primature, il y avait un manque de volonté politique de la part du gouvernement pour mettre en œuvre l’Accord. « Au-delà des questions de bonne ou de mauvaise foi, il faudrait un processus d’explication de l’accord qui est mobilisé pour justifier des demandes et des revendications. On ne peut pas s’approprier quelque chose qu’on ne comprend pas. Beaucoup de gens considèrent l’Accord comme un engagement entre le seul gouvernement malien et les groupes armés. », conclut Baba Dakono.