La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) demande aux juges de déclarer Bosco Ntaganda coupable de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en 2002 et 2003 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
« Les crimes n’étaient pas [commis] au hasard, pas isolés, pas spontanés » a déclaré la procureure, Fatou Bensouda, à l’ouverture de son réquisitoire. « Ils faisaient partie d’un plan soigneusement élaboré, d’une campagne de violence » ciblant les Lendus et les autres groupes ethniques. Des crimes commis entre août 2002 et décembre 2003 à Mongbwalu, Sayo, Kilo, dans la richissime Ituri, région minière de l’est de la République démocratique du Congo. Pour l’accusation, tous ceux qui n’étaient pas d’ethnie Hemas pouvaient craindre l’Union des patriotes congolais (UPC), dont Bosco Ntaganda était commandant en second de la branche armée, le FPLC. Le seigneur de guerre, surnommé Terminator, pour « sa violence notoire de tueur », décrit l’accusation, répond depuis septembre 2015 de meurtres, d’attaques contre des civils, de transferts forcés de population, de viols, d’esclavage sexuel, d’enrôlement forcé d’enfants de moins de 15 ans et d’attaques contre des biens protégés, écoles, églises, hôpitaux.
Accusations partielles
L’odieuse litanie semble sans fin, mais les accusations portées contre l’ex milicien sont néanmoins partielles. Elles ne couvrent que quelques mois de la carrière de l’officier de 45 ans, débutée dans les rangs du Front patriotique rwandais (FPR) lorsqu’il était adolescent. Natif du Rwanda, il avait participé à la prise du pays par les rebelles en juillet 1994, en repoussant les génocidaires. Lors du procès, dans lequel il a témoigné six semaines durant, il a tenté de faire de l’horreur du génocide rwandais le fil rouge de toute sa carrière de milicien au Congo, dont ses derniers faits d’armes au sein du M23, une milice soutenue par le Rwanda, comme l’avaient dénoncé des enquêteurs des Nations unies. En mars 2013, après avoir été lâché par son parrain rwandais, Bosco Ntaganda n’avait eu d’autre choix qu’une reddition à la Cour.
Le contrôle de l’Ituri
Cinq ans plus tard, le seigneur de guerre assis au banc des accusés a conservé son regard glacial, masquant toute émotion face aux accusations du procureur, assénées pendant 5 heures, ce mardi 28 août. Selon l’accusation, Bosco Ntaganda et ses co-auteurs « ont conçu un plan pour le contrôle politique et militaire de l’Ituri ». Photos à l’appui, le bureau du procureur évoque ces co-auteurs, dont Thomas Lubanga, le chef de l’UPC condamné à 12 ans de prison par la Cour pour avoir enrôlé et envoyé au front des enfants de moins de 15 ans. Et Floribert Kisambo, le chef des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), abattu en 2011. Avec eux, M. Ntaganda aurait ourdi un plan, « dont l’existence peut être déduite de preuves circonstancielles ». Un tel plan « ne doit pas être nécessairement mis par écrit », assure l’une des substituts du procureur. Bosco Ntaganda « a admis que l’idéologie de l’UPC était d’évincer le mal et d’avoir le pouvoir au Congo ». Selon les documents fondateurs de l’UPC, « le mal en Ituri était d’expulser les Lendus et les Nandes », et « de fonder une armée nationale ».
Conflit non international ?
A entendre le procureur, les crimes ont été commis dans le cadre d’« un conflit armé non international. » Devant la Cour, la totalité des affaires engagées contre des chefs de milices de l’est de la RDC ont toutes étaient circonscrites, par l’accusation, à leur seule dimension ethnique. Les responsabilités ougandaises et rwandaises dans les guerres de l’Est congolais n’ont été qu’effleurées. Nicole Samson, substitut du procureur, a simplement rappelé que la défense avait admis, à l’ouverture du procès, que le Rwanda a fourni des armes à l’UPC en 2002. « La chambre a estimé, dès lors, que les preuves n’étaient pas nécessaires », rappelle-t-elle, mais ajoute que « durant son témoignage », Bosco Ntaganda « a nié qu’il y avait des armes du Rwanda », malgré les affirmations de témoins de l’accusation. Dans la bouche de l’accusation, Bosco Ntaganda planifie, ordonne, fait exécuter et participe lui-même. Il est là lorsque des prisonniers sont, sous ses ordres, traqués, arrêtés, interrogés, torturés, exécutés. « Il a joué un rôle majeur de contrôle du plan commun ».
Une litanie de massacres
L’accusation a fait revivre les témoignages évoquant le massacre dans la bananeraie de Kobu, montrant, photos à l’appui, des cadavres à la gorge tranchée, des femmes éventrées. Les récits de l’extrême violence lors de la prise de la ville minière de Mongbwalu, celle de Kilo et le massacre de l’église de Sayo, où les victimes ont été retrouvées dans une fosse commune, recouverte d’une plaque en acier. Le bureau du procureur a ensuite détaillé un à un les multiples crimes. L’enrôlement des enfants soldats, dont ce garçon de 13 ans qui a raconté avoir rallié l’UPC pour « protéger sa communauté et venger la mort de membres de sa famille ». S’alertant des positions de la Défense, la substitut rappelle qu’il s’agit d’un crime, et que « plaider le consentement ne constitue pas une défense ». Elle explique encore aux trois juges que « les soldats de l’UPC fouillaient les écoles pour repérer les déserteurs ». Dix-neuf insiders – de simples enfants soldats ou des cadres du mouvement - ont déposé pour l’accusation. Ses soldats et ses officiers ont, entre autre, raconté les pillages. « J’ai pris des lits, des vêtements, des chaussures, des cigarettes », avait raconté un témoin, tandis qu’une victime disait avoir vu « un civil hema portant ses propres vêtements ». Selon un insider, dans l’armée, « vous avez des femmes gratuitement, une maison gratuitement. Tout est gratuit quand vous êtes soldat. » Bosco Ntaganda a assuré tout au long de l’affaire avoir agi en combattant responsable, en officier chevronné, formé à l’école du FPR. « Je n’ai jamais entendu parler d’un soldat qui serait sanctionné pour avoir tué un Lendu » avait contredit un témoin à la Cour. Pour l’accusation, « la seule discipline sur laquelle il a insisté était que ses troupes obéissent à ses ordres. » A la barre, les victimes ont aussi raconté les viols et l’esclavage sexuel. Le viol d’hommes et de femmes, « parfois avec des bâtons pour les pénétrer ». L’accusation a rappelé les femmes capturées, séparées des hommes, violées tour à tour par les miliciens, parfois tuées. Et le viol d’une fillette de 9 ans, « mortes des suites de ses blessures ». Bosco Ntaganda aurait aussi violé ses escortes à sa résidence de Bunia, mais n’est pas accusé de ces crimes.
Supérieur hiérarchique
Avec ce procès, l’accusation a trouvé l’occasion de revenir sur la jurisprudence Bemba, acquitté par la chambre d’appel début juin. Eric Iverson a estimé que la responsabilité du supérieur hiérarchique est « un mode essentiel qui régule le fonctionnement du droit international. » Pour le substitut, « si les commandants ne s‘assurent pas que leurs forces respectent le droit, le droit humanitaire international ne peut pas être effectif ». Les chefs doivent punir les responsables de crimes, faire respecter le droit pour que soient protégées les populations civiles, « pour que les crimes graves relevant de la compétence de cette Cour soient prévenus ». Après le procureur, les avocats des 2123 victimes plaignantes de l’affaire présenteront leurs conclusions. La parole sera ensuite à la défense et à Bosco Ntaganda en personne.