Les juges de la Cour pénale internationale ont accru la pression internationale sur le régime de Myanmar en déclarant la cour compétente pour se saisir d’une partie au moins des crimes commis contre la communauté des Rohingyas. La portée de cette décision, rejetée par les autorités birmanes, risque d’être très controversée. La cour se donne le droit d’intervenir sur un pays qui n’est pas un Etat-partie au Traité de Rome, sans passer par le Conseil de sécurité des Nations unies (où la Chine et/ou la Russie auraient opposé leur véto). Elle considère que le passage de la frontière vers le Bangladesh (pays reconnaissant la compétence de la CPI) est un élément constitutif de l’un des crimes internationaux reprochés au régime de Myanmar : la déportation. Mais les meurtres, tortures et viols commis sur le sol birman continueraient sans doute d’échapper à la CPI.
Avec cette décision, la CPI cherche à rester pertinente face à des violations massives du droit international qui échappent à son pouvoir d’intervention, comme en Syrie. La décision du 6 septembre ouvre ainsi un tout nouveau, et fragile, champ d’intervention à la CPI. Elle fragilise également un peu plus Yangoon, après la publication d’un rapport retentissant, le
27 août, du Conseil des droits de l’homme de l’Onu qui tenait les plus hauts responsables de l’armée birmane responsables de génocide et de crimes contre l’humanité et appelait à l’organisation de poursuites pénales contre le chef de l’armée et ses lieutenants.
Un autre pays a largement échappé depuis deux décennies à la justice pénale : le Liberia. Les nombreuses atrocités commises au cours de deux guerres civiles entre 1989 et 2003 n’ont jamais été jugées. Cela est en passe de changer. L’action des ONGs et des associations de victimes a mené à une nouvelle arrestation en Europe d’un ancien chef de guerre libérien, soupçonné de crimes contre l’humanité. Kunti K., dont l’identité n’a pas encore été révélée, a été arrêté le 4 septembre en banlieue parisienne. Il est le sixième suspect dont l’arrestation est le fruit direct de l’action de l’organisation suisse Civitas Maxima et de ses partenaires au Liberia et en Sierra Leone, qui font agir devant les tribunaux nationaux le principe de compétence universelle. Plusieurs procès ont également eu lieu aux Etats-Unis, où les suspects libériens n’ont été jugés que pour avoir fraudé les lois de l’immigration mais où les audiences ont été élargies aux crimes qui leur sont reprochés dans les années 90.
Il a fallu quinze ans après la fin de la guerre au Liberia pour que la justice se mette en branle. Cela fait à peu près autant de temps que certains Rwandais, poursuivis pour génocide et qui ont obtenu un acquittement devant le Tribunal pénal pour le Rwanda (TPIR), attendent à Arusha, dans le nord de la Tanzanie, une autorisation de trouver refuge dans des pays occidentaux. Ils sont six à être encore ainsi confinés à la ville d’Arusha, dont l’un d’entre eux depuis quatorze ans. Quatre ans après son acquittement en appel, l’ancien officier François-Xavier Nsuwonemeye a déposé une requête demandant au TPIR d’ordonner à la France, où résident sa femme et ses enfants naturalisés français, de le recueillir. Une manière d’espérer échapper à leur sort – et à l’oubli.
De son côté, la Tunisie poursuit son travail novateur et sa réflexion de fond sur sa transition démocratique après les années d’oppression. La parution en juin du rapport de la Commission des libertés individuelles et des libertés (Colibe) continue de nourrir un formidable débat sur les choix de société auxquels fait face le pays. Dans un brillant entretien, l’un des membres de la Colibe, Slim Laghmani, explique avec clarté et pédagogie les questions soulevées par ce rapport et la façon dont la justice transitionnelle se joue aussi au niveau de la réforme des lois pour changer l’ordre social établi et, notamment, assurer l’égalité entre hommes et femmes.