L’attaque lancée le 10 septembre par le conseiller à la sécurité nationale américain, John Bolton, contre la Cour pénale internationale (CPI) a continué de nourrir l’actualité. Le rédacteur en chef de JusticeInfo, Thierry Cruvellier, a décrypté dans la page Opinion du New York Times du 17 septembre le sens de la nouvelle offensive de Washington. Quels sont calculs de l’administration Trump ? A quel point la CPI peut-elle réellement faire peur à l’Amérique, notamment sur le dossier afghan, où la procureure de la juridiction internationale a annoncé, il y a un an, avoir ouvert une enquête qui pourrait viser des membres de l’armée américaine ou de la CIA ? L’initiative de Bolton révèle-t-elle davantage les faiblesses des Etats-Unis que l’impact incertain de la cour de La Haye ? Quels sont les risques pour la CPI ? En mal de soutien depuis des années, confrontée à une contestation de la part de ses propres Etats-membres, la juridiction pénale universelle pourrait trouver paradoxalement de nouveaux appuis grâce à l’hostilité américaine.
Ancien enfant soldat, Dominic Ongwen est aujourd’hui la tête d’affiche problématique de la CPI
La défense de Dominic Ongwen a commencé à plaider devant la Cour pénale internationale (CPI) le 18 septembre. Des cinq dirigeants de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), groupe rebelle armé en Ouganda, inculpés par la cour de La Haye, seul Ongwen est dans le box. Il a pourtant une histoire unique, celle d’un enfant enrôlé de force, aujourd’hui jugé comme criminel de guerre après s’être rendu en 2015. Il est aussi le moins gradé et sans doute le dernier en vie, hormis le chef de la LRA Joseph Kony, parmi les cinq individus identifiés par la cour comme étant dignes de ses poursuites.
Victime et bourreau : La défense fera de cette histoire contradictoire un point charnière de son argumentation. Bien que la preuve contre Ongwen soit considérée comme solide, la procureure de la CPI a souligné dans d’autres affaires, rappelle l’universitaire Thijs Bouwknegt, « que les enfants soldats sont traumatisés par défaut, du simple fait d’avoir été des enfants soldats ».
L’état mental de l’accusé et la mystique de Kony seront aussi au cœur des débats, alors que vont défiler les témoins à décharge, dont les épouses d’Ongwen, dans les semaines qui viennent.
En Tunisie, des procès boudés par les accusés
Les procès devant les chambres pénales spécialisées ont repris le 21 septembre en Tunisie. Dans un rapport d’observation des neuf procès qui se sont déjà tenus, l’organisation Avocats sans frontières souligne notamment l’absence des suspects à l’audience et l’isolement des juges, dépourvus de soutien politique dans un contexte où l’influence dans les rouages de l’Etat des tenants de l’ancien régime s’est accrue.
Pour les audiences qui reprennent, la plupart des chambres spécialisées ont décidé de convoquer à nouveau les accusés et les témoins qui ne se sont pas présentés auparavant. Mais pour beaucoup d’anciens tortionnaires, l’atmosphère générale, propice à l’impunité et au retour des anciennes élites au pouvoir, favorise leur boycott de ces tribunaux des temps de transition.
L’inquiétude qui pèse sur le processus a, par ailleurs augmenté du fait d’un vaste mouvement de mutation des magistrats qui menace directement le déroulement des procès à venir. L’alerte est venue de l’Association des magistrats tunisiens qui, dans une conférence de presse le 5 septembre, a noté la mutation de la quasi-totalité des juges des chambres pénales spécialisées, dans le cadre d’un mouvement judiciaire opéré par le Conseil supérieur de la magistrature. Une seul chambre a échappé à ce mouvement, celle de Nabeul, devant laquelle s’est ouvert, le 21 septembre, la seconde audition du procès Chammakhi, militant islamiste torturé à mort sous le régime de l’ancien président Ben Ali.
A l’occasion de la reprise des procès, une exposition a été inaugurée à Tunis, le 22 septembre. Le parcours muséographique de « Les voix de la mémoire » est basé sur les récits et témoignages de huit femmes tunisiennes parmi lesquelles figurent des victimes de la dictature et des militantes engagées pour la défense des droits humains. Toutes semblent unies par une conviction : l’art et la narration peuvent constituer un vecteur d’ancrage dans l’Histoire pour toutes ces mémoires douloureuses qui tardent à faire l’objet d’une prise en compte sereine dans l’espace de débat public. L’exposition, interactive, raconte l’importance centrale, pendant les années d’oppression, de la koffa, ce couffin transmis par les familles à leurs proches, quand ceux-ci étaient des prisonniers politiques sous la dictature de Ben Ali. Objet de désir dans un espace carcéral marqué par le dénuement, message d’amour, la koffa inspire désormais les artistes tunisiens.
Pour Khadija Salah, ancienne activiste politique longtemps harcelée par la police, « Les voix de la mémoire » a représenté une thérapie de groupe : « De victimes, nous sommes passées à actrices de notre destin. Même si au départ, nous avons toutes pleuré… nous avons fini par en rire et par prendre distance avec les épreuves du passé ».
Effacer le passé : question planétaire, réponse suisse
Jusqu’où faut-il déboulonner les statues, débaptiser les rues, changer le nom des villes et des montagnes, lorsqu’elles portent le nom de personnages qui ont contribué au malheur des hommes ? Le retentissant déboulonnage à Charlottesville, aux Etats-Unis, d’une statue du général Lee, héros sudiste et esclavagiste, est loin d’être unique. Mais les Suisses y ont apporté une réponse tout helvétique.
Louis Agassiz fut longtemps un personnage respecté dans le pays. Né dans le canton de Fribourg en 1807, émigré aux Etats-Unis, il fut l’un des pères des sciences naturelles au 19e siècle. Sa réputation serait restée intacte si, en 2007, l’historien suisse Hans Fässler n’avait pas mis en lumière les thèses ouvertement racistes du savant, lequel qualifiait les Africains de « race dégénérée », s’affirmant un fervent opposant au métissage et offrant une caution scientifique aux lois dites de Jim Crow qui institutionnalisèrent le racisme anti-noir dans le sud des Etats-Unis.
Début septembre, l’université de Neuchâtel a rebaptisé l’espace Louis-Agassiz. Il s’appelle désormais espace Tilo Frey, du nom d’une des premières députées suisses, d’origine camerounaise (de mère Peul), pionnière de l’émancipation des femmes et des minorités. Mais ailleurs le reste des représentations du savant demeure. Un compromis bien helvète, qui a le mérite de ne pas effacer la mémoire de Louis Agassiz, sans ignorer l’homme qui a cautionné le racisme institutionnalisé. L’important, écrit le conseiller éditorial de JusticeInfo Pierre Hazan, n’est pas de gommer le passé, mais d’apprendre de lui. Tout en notant que le compromis helvétique n’est sans doute pas exportable. Car l’équilibre entre mémoire et effacement, entre glorification et contextualisation, s’avère d’autant plus difficile à trouver dans des sociétés où les symboles servent de marqueurs identitaires pour les combats d’aujourd’hui.