Cinq pays latino-américains sont décidés à déférer le Venezuela devant la Cour pénale internationale (CPI). Selon des sources diplomatiques, ils doivent demander ce 25 septembre à la procureure Fatou Bensouda d’ouvrir une enquête, faisant ainsi pression sur le Venezuela et la Cour. C’est la première fois que des États membres de la CPI saisissent ainsi la cour contre un autre État partie.
Les ministres des Affaires étrangères d’Argentine, du Chili, de la Colombie, du Paraguay et du Pérou doivent signer mardi soir une lettre commune dans laquelle ils demandent à la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, d’ouvrir une enquête sur la situation au Venezuela. Dans ce courrier, ils invoquent l’article 14 du Statut de Rome, autorisant des États parties à référer à la Cour une situation dans un autre pays. Plusieurs sources diplomatiques ont confirmé que la lettre allait être signée lors d’une réunion des cinq ministres en marge de l’Assemblée générale de l’Onu à New-York.
Le ministre adjoint des Affaires étrangères du Pérou, Hugo De Zela, a déclaré que les cinq pays avaient coordonné leur action, expliquant que le Canada envisageait de se joindre au groupe, selon le journal sud-américain Publimetro.
La démarche des cinq gouvernement latino-américains s’appuie sur un rapport de l’Organisation des Etats américains (OEA), selon un diplomate qui a souhaité garder l’anonymat. En mai dernier, un panel d’experts internationaux indépendants a conclu que des crimes contre l’humanité ont été commis au Venezuela depuis 2014. Dans son rapport, le panel de l’OEA fait état de meurtres, d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires et d’une « conduite systématique de violence » contre une partie de la population civile.
Ces experts recommandent aux pays membres de l’OEA de demander à Fatou Bensouda l’ouverture d’une enquête. La lettre des gouvernements argentin, chilien, colombien, paraguayen et péruvien fait ainsi pression sur le bureau du procureur pour qu’il accélère son travail. En février dernier, la procureure Fatou Bensouda avait en effet annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire sur le Venezuela.
Pour passer à l’étape suivante, l’ouverture d’une enquête, elle a besoin d’une autorisation des juges de la Cour. Mais la saisine par des États parties dispense de cette obligation et a pour conséquence de rendre maintenant plus probable une enquête sur le Venezuela.
La décision de ces cinq pays est un cas inhabituel de gouvernements utilisant la CPI comme outil diplomatique en référant à la cour une crise se déroulant dans un autre pays. En 2013, les Comores avaient demandé l’ouverture d’une enquête sur les crimes qui auraient été commis par Israël lors de l’attaque d’un bateau se dirigeant vers la Bande de Gaza. Mais Israël n’est pas membre de la CPI. Et en novembre 2017, la procureure avait décidé de clore le dossier, estimant que les preuves disponibles n’étaient pas suffisantes pour l’ouverture d’une enquête.
La situation au Venezuela est différente en échelle et en nature. Le référé des cinq pays serait inédit en ce qu’un État membre, ou un groupe d’États membres, demanderait à ce qu’un autre État membre fasse l’objet d’une enquête.
Des rapports d’organisations des droits de l’homme, des experts de l’Organisation des Etats américains et du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme ont révélé que crimes et violences à grande échelle ont été perpétrés au Venezuela au cours des dernières années. La communauté internationale a imposé des sanctions au gouvernement vénézuélien et menacé d’une intervention militaire. L’initiative conjointe de l’Argentine, du Chili, de la Colombie, du Paraguay et du Pérou isolera davantage encore le Venezuela. Il aura peut-être également un impact sur la position de ce pays vis-à-vis de la cour. En 2016, par exemple, le Burundi, en position d’Etat paria et menacé d’enquête par la CPI, avait décidé de se retirer du Statut de Rome.Le président du Venezuela, Nicolás Maduro, s’est jusqu’ici montré imperméable aux mesures prises par la communauté internationale. Mais il pourrait envisager de suivre l’exemple du Burundi, même si cela ne le protègera pas de l’ouverture d’une enquête.