Ce mardi 27 novembre, la cour militaire de Goma a été prise d’assaut par des centaines des personnes – des officiels dont le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, des officiers des forces de défense et de sécurité, d’autres des Nations unies, des militants des droits de l’homme, des habitants du coin –, toutes venues écouter l’ex-« seigneur de Walikale », Tabo Ntaberi, alias Sheka, se défendre des crimes qui lui sont reprochés.
L’ancien chef du groupe rebelle Nduma Défense du Congo (NDC), une milice active dans le Nord-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), s’est rendu le 26 juillet 2017 aux forces des Nations unies en RDC, alors qu’il était sous le coup d’un mandat d’arrêt de la justice congolaise. Active dans plusieurs localités du territoire de Walikale, la milice NDC est accusée d’avoir commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre – meurtres, viols, pillages…
D’après l’Onu, entre le 30 juillet et le 2 août 2010, la milice NDC et deux autres groupes armés ont violé au moins 387 femmes, hommes, filles et garçons dans treize villages de Walikale. Au-delà de ces faits, l’organisation américaine Human Rights Watch dit avoir, elle, documenté au moins 70 morts, des civils tués par les forces de Sheka, dont beaucoup auraient été, d’après l’organisation, taillés en pièces à coups de machette. C’est donc pour cela que la justice congolaise le poursuit pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
SHEKA : Un chef de guerre soucieux de ses droits
A l’ouverture de son procès, Tabo Ntaberi a paru détendu dans son costume noir, assis aux côtés de ses trois coaccusés. Mais le tribunal, qui espérait entamer l’affaire tout de suite, n’y est pas parvenu. A l’issue de l’identification des prévenus, Sheka a sollicité un report de trois mois, le temps de « se choisir les avocats de son choix et de se rassurer des garanties de protection et de sécurité de ses témoins », en vue d’un procès « juste et équitable ». Les juges ne lui ont accordé que dix jours. Après environ trois heures d’audience, le procès était ajourné.
Il y a un peu plus d’un an, en septembre 2017, les organisations de la société civile du Nord-Kivu avaient adressé une lettre au président de la RDC, Joseph Kabila, pour demander des poursuites judiciaires contre d’anciens chefs de guerre congolais ou étrangers ayant longtemps sévi dans cette partie de l’est du pays. Tabo Ntaberi figurait sur la liste des chefs de guerre épinglés.
L’ouverture de ce procès a donc été saluée par ce qu’on appelle les forces vives du Nord-Kivu. « Nous saluons et soutenons la tenue de ce procès. Nous voulons que le jugement de Tabo Ntaberi dit Sheka soit exemplaire pour décourager d’autres chefs miliciens encore actifs dans la province. C’est aussi une occasion pour la justice congolaise de remettre les victimes dans leurs droits », espère Edgar Mateso, vice-président de la société civile du Nord-Kivu.
Entre espoir et prudence
Au-delà de l’espoir, la société civile demeure pourtant prudente. Le procès, en effet, s’ouvre dans la fièvre de la campagne électorale en RDC, où l’élection présidentielle est prévue le 23 décembre. « Nous croyons que le procès n’a pas été organisé dans ce contexte précis de la campagne électorale pour tenter de contenter les potentiels électeurs de Walikale, sinon ça serait cracher sur les souffrances des victimes », prévient Edgar Mateso, joint par téléphone.
Au-delà des poursuites judiciaires contre Sheka, il faut que l’État congolais traque également les milices pour stopper les crimes et pacifier la région.
L’ouverture du procès ne garantit pas non plus la fin de la commission des crimes dans le Walikale, se préoccupe de son côté Prince Kihangi, responsable du Bureau d’études pour le développement de Walikale (BEDEWA). « Quand Sheka s’est rendu, les autorités n’ont pas fourni assez d’efforts pour traquer sa milice NDC qui demeure active dans le Walikale », souligne-t-il. « Et à ses côtés, il y a une dizaine d’autres groupes armés locaux qui continuent, eux aussi, à commettre des crimes. Donc au-delà des poursuites judiciaires contre Sheka, il faut que l’Etat congolais traque également les milices pour stopper les crimes et pacifier la région », recommande Prince Kihangi.