Les stagiaires de divers Etats se sont démenés sur les réseaux sociaux, cette semaine, pour rédiger des tweets encourageants sur l’appui irréprochable de leurs employeurs à la justice, au cours de la réunion annuelle de la Cour pénale internationale (CPI) qui vient de s’achever à La Haye.
Mais cela n’a pas suffi pour convaincre ceux qui financent la Cour. Cette année, les Etats membres de la CPI ont accepté une augmentation du budget de 0,5 % seulement, ce qui, en réalité, constitue une coupe budgétaire si l’on tient compte de l’inflation.
Le greffe de la CPI n’avait délibérément pas demandé d’augmentation. Seuls le bureau du procureur et le Fonds pour les victimes avaient sollicité davantage de fonds pour accomplir leurs tâches : enquêter et poursuivre sur les violations massives des droits de l’homme et offrir des réparations aux victimes.
A quel point les Etats membres veulent-ils donc soutenir ce projet de justice internationale ?
Un petit groupe de dix Etats – Argentine, Belgique, Costa Rica, Finlande, Liechtenstein, Luxembourg, Pays-Bas, Slovénie, Suède et Suisse – ont exprimé leur déception face à ce résultat, à travers une déclaration commune lors des débats budgétaires. « Il y a vingt ans », disent-ils, « nous avions une vision commune sur ce que la justice pénale internationale devait être et, aujourd’hui, dans un contexte difficile, nous devons nous assurer que la Cour ait les ressources adéquates pour répondre à la demande de justice croissante, afin de s’assurer que les victimes aient l’accès à la justice qu’elles méritent. » Comme l’a dit à JusticeInfo.net le représentant permanent des Pays-bas auprès de la CPI, Paul van den Ijssel, « le budget est un signal important car il s’agit de joindre l’acte à la parole ».
Le Royaume-Uni à l’offensive
A l’extérieur de La Haye, le gouvernement américain affirme clairement qu’il entend bloquer toute initiative de la CPI qui menacerait son hégémonie ou n’importe lequel de ses alliés. Le Secrétaire d’Etat Michael Pompeo a ainsi qualifié la cour de « tribunal international voyou ».
A l’intérieur, le Royaume-Uni – qui fait l’objet d’un examen préliminaire sur des crimes de guerre allégués en Irak – a assuré la cour de sa volonté de renforcer le mécanisme du Statut de Rome. Mais il a vite ajouté : « Nous ne pouvons mettre la tête dans le sable et prétendre que tout va bien quand tel n’est pas le cas. Les chiffres font réfléchir. Après vingt ans et 1,5 milliards d’euros dépensés, nous n’avons que trois condamnations sur les crimes principaux. Comme d’autres l’ont dit, et je cite : « Il est indéniable que le projet de Rome ne répond toujours pas aux attentes de ceux qui ont participé à cette conférence historique de Rome. » Le temps est venu pour les Etats de porter un regard réel sur la façon dont la Cour fonctionne. » Le représentant britannique Andrew Murdoch prévient que « la Cour n’est pas faite pour deviner et encore moins réviser les décisions de systèmes de justice nationaux compétents et fonctionnels. »
Puis il s’est appliqué à cibler le comportement douteux des procureurs et des juges. « Nous nous réjouissons des mesures prises par la Procureure pour enquêter sur les allégations au sujet de l’ancien Procureur, surgies dans la presse il y a douze mois », déclare Murdoch, se référant aux allégations de fautes et de possibles infractions liées à l’ancien procureur Luis Moreno Ocampo. « Nous lui [Fatou Bansouda, actuelle procureure] recommandons vivement de terminer rapidement cette enquête dans son entièreté et dans la transparence et de faire un rapport complet à l’Assemblée. Ce sera crucial pour la crédibilité du Bureau du procureur et de la Cour dans son ensemble. »
Puis il passe aux juges et à l’un des secrets mal gardés de la CPI : « La Cour court le risque de dépenser davantage d’argent sur des litiges internes, y compris sur les salaires, que pour les victimes. Cela ne fera rien pour améliorer la réputation de la Cour à l’extérieur. » Murdoch se réfère ici à un groupe de juges qui ont déposé un recours devant un tribunal administratif à propos de leurs salaires et de leurs retraites.
L’initiative « destructrice » des juges
Même William Pace, en passe de quitter la Coalition des ONGs pour la CPI et qui en a été l’un des plus fervents soutiens depuis vingt ans, déplore la situation. « Il est très malheureux que six juges sur les quarante qui ont travaillé ici affirment que l’ASP les a maltraités en ne leur donnant pas plus que les 200 000 euros, plus les avantages, plus la retraite dont ils bénéficient déjà, et j’espère que cela demeurera le fait d’une minorité et ne se transformera pas en quelque chose de destructeur pour la cour », confie-t-il à JusticeInfo.net.
L’initiative des juges survient à la suite d’une longue série de jugements condamnant la cour devant le Tribunal administratif de l’Organisation internationale pour le travail (TAOIT), et coûtant aux Etats des milliers d’euros en compensation, notamment dans le cadre de la malheureuse réorganisation de la cour, connue sous le nom de ReVision et promue par l’ancien greffier Herman von Hebel.
« J’ai plusieurs dossiers pendants contre la CPI », explique Cyril Laucci, ancien conseiller au greffe de la CPI, dossiers qui sont tous liés aux circonstances de son départ de la cour. Le TAOIT a accueilli favorablement ses arguments selon lesquels la réorganisation ne respectait pas les règles strictes que doivent suivre les organisations internationales dans leurs offres de postes de repli en cas de licenciement. « Je suis au courant de 27 autres cas, nous sommes donc peut-être 40 [à avoir un dossier] en cours. »
La dure critique des Britanniques est un brin « simpliste », réplique cependant Matt Cannock, chef du Centre pour la justice internationale de l’ONG Amnesty International, à La Haye, « et cela vient d’un Etat qui a appliqué de sérieuses pressions sur la cour en matière budgétaire. Mais, dans un même temps, il se pose une réelle question de perception pour la cour si elle est perçue comme dépensant davantage d’argent dans des règlements à caractère administratif que dans les réparations aux victimes. »
Le difficile passage à l’âge adulte
L’un des truismes que l’on entend fréquemment dans les discussions autour de la CPI est que le Statut de Rome n’a que vingt ans et que la Cour est encore jeune. Mais le gaspis d’argent apparemment mis au jour renforce la position des Etats qui, pour de multiples raisons, peuvent être réticents à accroître le financement. « J’imagine que nous aurions préféré voir la cour avoir déjà dépassé l’enfance », admet Cannock. « En même temps, il est possible qu’avec certaines de ces pressions que les Etats appliquent, ils rendent assez difficile qu’elle grandisse comme elle le voudrait. C’est une chose de demander à la cour de grandir, mais lorsque les Etats l’étranglent par le budget, ils bloquent également son travail. »