Un certain nombre de pays qui sont passés par des commissions vérité ont accordé des réparations aux victimes à l’issue des audiences. En Gambie, des formes de réparations peuvent être accordées alors que celles-ci sont en cours.
La Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) a établi ce qu'elle appelle un « Comité des Réparations ». Il examine les besoins et les demandes des victimes au fur et à mesure que la Commission progresse. « La décision du Comité des réparations est portée à l'attention de la Commission et, lorsqu'elle est approuvée, le paiement est effectué », explique Baba Galleh Jallow, secrétaire exécutif de la TRRC. « Alors que d'autres commissions vérité font des recommandations, nous avons le pouvoir d'accorder des réparations sans consulter personne. »
Alors que d'autres commissions vérité font des recommandations, nous avons le pouvoir d'accorder des réparations sans consulter personne.
Une attention particulière est accordée par la Commission, dit-il, aux victimes qui ont besoin de soins médicaux urgents. « Si quelqu'un est confronté à un problème de santé, devrions-nous dire "attendons la fin du processus pour l'amener chez le médecin" ? Cela n'a pas de sens », assène Jallow.
Victimes d'avril 2000
En avançant modestement, le Comité des réparations a donc créé un conseil médical pour offrir des soins à plusieurs victimes de la dictature militaire (1994-2016) qui souffrent de complications médicales. Ce conseil médical a déjà reçu deux groupes de victimes nécessitant des soins médicaux d'urgence.
Un rapport est en cours de préparation sur les étudiants qui ont été blessés par balle, en avril 2000, lors d'une manifestation nationale d'étudiants. Ces manifestations avaient eu lieu après la mort en détention d'un étudiant appelé Ebrima Barry. 14 personnes y ont perdu la vie. Abdou Karim Jammeh et Yusupha Mbaye ont survécu aux événements. Ils racontent à Justiceinfo.net que cinq d'entre eux, dont Oumie Jagne, qui a encore des fragments de balles dans son bras, ont pu voir un médecin.
Karim Jammeh lui-même a été touché au genou gauche par derrière alors qu'il courait ; la balle est ressortie de l'autre côté. Depuis lors, il n'a jamais reçu de traitement approprié dans un établissement médical équipé. « Je prends toujours des paracétamols et des calmants. Ça fait encore mal, » dit-il, en attendant le rapport du médecin sur son état. Yusupha Mbaye a reçu une balle par derrière dans le cou, pulvérisant sa moelle épinière. Il est depuis dans un fauteuil roulant. En 2000, Mbaye s'est rendu en Egypte pour des examens. Sur le chemin du retour, à son arrivée à l'aéroport de Banjul, ses papiers médicaux ont été saisis par des agents de l'ancien gouvernement. De 2000 à 2003, Mbaye a été hospitalisé au Edward Francis Small Teaching Hospital, le principal hôpital de Gambie, à Banjul. Mais sa situation ne s'est guère améliorée. Mbaye dit qu'il souffre encore de douleurs pendant la saison froide. Il se prépare à un voyage au Sénégal pour un examen IRM parrainé par le TRRC.
Victimes des manifestations d'avril 2016
Un certain nombre de victimes de tortures présumées ont également vu le conseil médical. Leur état préoccupe beaucoup plusieurs militants gambiens. L'une de ces victimes est Nogoi Njie. Fin 2018, une vidéo de Njie demandant de l'aide a été mise en ligne. La vidéo, émouvante, diffusée sur les réseaux sociaux, a provoqué une vive agitation, au cœur d’appels lancés au gouvernement pour qu'il alloue des fonds au traitement des victimes. Une opération de levée de fonds en ligne a permis de récolter 8000 dollars pour Njie.
Njie faisait partie de ceux qui ont été arrêtés le 14 avril 2016, dans un groupe dirigé par Solo Sandeng, qui était descendu dans la rue pour exiger une « vraie réforme électorale ». Sandeng est mort en garde à vue. Deux jours plus tard, la direction du Parti démocratique unifié (UDP) avait protesté à nouveau réclamant que leur soit remis Sandeng, un dirigeant des jeunesses du parti, « mort ou vif ».
Tous les manifestants, condamnés à trois ans de prison, ont été libérés après la défaite électorale du président Yahya Jammeh. Cinq d’entre eux sont morts depuis. D'autres sont toujours aux prises avec des problèmes de santé, alimentant les rumeurs selon lesquelles ils auraient été empoisonnés ou gravement torturés.
Nogoi Njie, Fatou Camara, Juguna Susso et Sukai Dahaba, tous membres de l’UPD, ont bénéficié ce mois-ci d'un financement populaire pour se faire traiter. La semaine dernière, ils ont reçu chacun 404 dollars (20 000 dalasi) en espèces, de l'UDP, pour se faire soigner. Njie, lui, a déjà obtenu un visa pour aller se faire soigner en Suède.
Ressources limitées
Jallow admet que le nombre de bénéficiaires « n'est pas très élevé pour le moment, mais il demeure important parce qu'il s'agit de personnes qui ont besoin d'un traitement urgent. Parallèlement aux audiences, le comité des réparations et la Commission se réunissent et définissent d’autres formes de réparations qui seront versées. Nous n'attendons pas la fin du processus. Nous aidons les victimes au fur et à mesure que le processus progresse », nous dit-il. « Nous avons vu une fille, l'enfant d'une victime, qui a abandonné l'école parce que sa mère ne pouvait pas payer ses études. Dans le cadre de notre programme de réparations, nous avons payé pour qu'elle poursuive sa scolarité », annonce Jallow. « Pour l'instant, nous n'avons pas d'argent pour accorder des réparations financières, mais nous avons assez d'argent ici pour aider les enfants à retourner à l'école et aider les victimes à voir le conseil médical. »
De nombreuses victimes ont cependant encore besoin d'aide. Ousman Kujabi, juriste au Centre pour les victimes de violations des droits de l'homme, une association formée pour aider les victimes de l'ancien régime, explique avoir enregistré plusieurs victimes souffrant de troubles médicaux nécessitant une aide urgente. Le Centre dispose d'un psychologue qui leur fournit une assistance, mais ce n'est pas suffisant, dit Kujabi. Les victimes aux prises avec des problèmes de santé ne peuvent pas attendre la fin de la Commission vérité pour être traitées, plaide-t-il.