On peut distinguer cinq types d’actions illustrant les initiatives judiciaires devant les justices européennes ayant un lien avec les crimes internationaux commis en Syrie depuis 2011 : organisation effective de procès, enquêtes et instructions en cours, poursuites contre des entreprises et leurs dirigeants, dépôt de plaintes par des victimes et des ONGS, émission de mandats d’arrêt internationaux.
L’Allemagne est le seul pays où l’on peut identifier ces cinq modes d’action. C’est le pays où le plus grand nombre de procès a eu lieu à ce jour, où il existe le plus grand nombre de suspects déjà en attente de procès et le plus grand nombre de plaintes. C’est également des actions allemandes que se sont inspirés les auteurs des dépôts de plaintes en Autriche et, cette semaine, en Suède. C’est encore l’Allemagne qui a montré la voie en émettant le premier mandat d’arrêt international avant que la France ne lui emboîte le pas.
Avec cinq procès à son actif (six, si l’on considère le fait que l’un des accusés a subi deux procès séparés), au moins seize individus en attente du leur, trois mandats d’arrêt internationaux contre un haut dirigeant du régime d’Assad et contre deux commandants de Daesh, des dépôts de plaintes répétés entre 2016 et 2018 (dont l’une visait une compagnie syrienne de télécommunications ainsi qu’une société allemande de matériel de surveillance), l’Allemagne offre l’image d’un usage libéral et volontaire du principe de compétence universelle, qui l’autorise à poursuivre les auteurs présumés de crimes internationaux, quels que soient leur citoyenneté ou le lieu où ils ont été perpétrés.
Allemagne, Suède et France en ligne de front
En termes de procès, la Suède fait aussi bien, avec cinq individus jugés depuis 2015 dans le cadre de quatre affaires, et avec deux suspects en attente de procès. La France est plus à la traîne, bien qu’elle vienne d’enregistrer, la semaine dernière, sa première arrestation, et que son unité spécialisée pour les crimes de guerre enquête sur environ 25 cas. Ce pays se distingue surtout, pour l’heure, sur le dossier des poursuites contre les sociétés privées. Une instruction touche la société de matériel de surveillance Qosmos, pour complicité de torture et de crime contre l’humanité. Et surtout, il y a l’affaire du conglomérat Lafarge, leader mondial dans les matériaux de construction, dont huit haut responsables, y compris deux anciens directeurs généraux, sont poursuivis au pénal, tandis que la société elle-même est accusée de complicité de crimes contre l’humanité, financement d’une entreprise terroriste et mise en danger de la vie d’autrui.
La Belgique s’est également montrée vigilante à l’encontre de trois sociétés flamandes de fabrication de produits chimiques, qui viennent d’être condamnées, ce mois-ci, à plusieurs centaines de milliers d’euros d’amende pour exportation illégale vers la Syrie, deux de leurs dirigeants écopant de peines de prison, y compris, pour l’un d’entre eux, un an ferme.
Derrière les pays à la pointe de l’effort judiciaire, le paysage est nettement plus modeste. L’Autriche a accompli un procès, qui est en appel, et instruit un second dossier, contre un ancien général chargé des renseignements à Rakka, à l’est de la Syrie. Les Pays-Bas, après avoir jugé un de ses citoyens, viennent d’ouvrir un procès par contumace contre deux autres Néerlandais partis combattre en Syrie. Le pays est contraint de se limiter à ses propres ressortissants. Tout comme la Lettonie, qui a aussi jugé un de ses citoyens. La Suisse, dont les services chargés des dossiers pour crimes de guerre sont critiqués pour leur faible ambition, ont une enquête ouverte depuis 2016 contre un demandeur d’asile syrien. Quant à l’Espagne, la seule plainte qu’elle a enregistrée a fini par être déboutée, pour manque de compétence.
Cibles indiscriminées
Les initiatives judiciaires et le nombre de procès notamment devrait continuer de croître, notamment dans les trois pays phares, Allemagne, Suède et France. Notons que, si les plaintes déposées par les victimes et les ONGs visent essentiellement des responsables du régime du président Assad, les procès sont plus indiscriminés. Groupes islamistes Front al-Nosra, Daesh, Ghuraba al-Sham, Compagnie Suleyman, ainsi que membres des forces gouvernementales ou de l’Armée syrienne libre ont été visés dans les procès menés jusqu’ici.