Elle n’est pas encore âgée d’un mois et s’appelle ‘Mahama’ du nom de la colline où elle est née. Sans doute comme ces autres milliers de réfugiés burundais installés sur cette colline de l’est du Rwanda, elle dira qu’elle a fui le 3ème mandat du président Pierre Nkurunziza mais surtout les répressions de la milice Imbonerakure. A cette seule différence qu’elle a fait le trajet dans les entrailles de sa mère avant de voir son premier soleil d’exil, un matin du 24 avril 2015.
Au milieu d’arbres rabougris de cette savane de l’est du Rwanda, plusieurs centaines de tentes blanches aux couleurs bleues du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) accrochent le regard sur plus de 50 hectares. Le camp de Mahama est là avec ses 20.000 réfugiés burundais. L’oreille perçoit le bruit de la rivière Akagera, à un 1 km de là, qui coule à pas saccadés vers le lac Victoria.
Il est midi dix minutes et un soleil de plomb oblige à porter la main en visière. A l’intérieur des tentes, l’atmosphère est suffocante. A l’extérieur, hommes, femmes de tous âges, assis en bousculade à l’ombre rare de rares arbustes, s’essuient de la main la sueur qui coule à flots. Un peu à l’écart, des enfants pleurnichent à côté de leurs mères faisant mijoter au feu du grain de mais au haricot.
C’est là que la petite Iradukunda Diella ou « Bébé Mahama » a vu le jour. Assise à l’ombre et toute souriante, sa mère Jeannine Minani la tient dans ses bras dans un linge simple mais propre et l’allaite tranquillement. Elle se dit contente d’avoir mis au monde sitôt au bout sa route. « Je suis heureuse d’être arrivée saine et sauve et d’avoir mis au monde…mais j’ai besoin d’une toute autre alimentation que le grain de maïs» pour bien allaiter son enfant, souhaite-t-elle.
Des problèmes sont pléthore à l’attendre
Les enfants sont partout. Nombreux dans les bras de leurs mères devant un hangar-dispensaire. A chercher du bois mort pour le chauffage sur les 50 hectares du camp. A surveiller la cuisson, à se bousculer pour un petit bidon d’eau potable…tandis que les parents vaquent au « food for work (nourriture contre travail) » dans les villages voisins. Même ici dans ce hangar où ils sont plus de 300 à attendre de la bouillie comme un palliatif à leur malnutrition aigue, communément appelée kwashiorkor. Selon le HCR, 50% de la population de Mahama sont des enfants.
La plupart des réfugiés interviewés dans ce camp disent que les gens ici ne mangent pas à leur faim. Et bien des enfants montrent des signes de malnutrition. Le porte-parole des réfugiés, Terrence Nzobananayo, reconnaît néanmoins que même si les conditions de réfugié en rajoutent, certaines familles avaient déjà le problème de malnutrition même avant leur exil.
La ration alimentaire par jour et par personne, chiffrée à 0.41kg de mais, 0.12kg de haricot, 0.03kg d’huile et 0.005 kg de sel, et calculée sur les standards internationaux qui ne tiennent pas compte des catégories spécifiques de vulnérables, est jugée trop insuffisante.
A ce problème d’approvisionnement en vivres, s’ajoute celui non moins vital de l’eau. En effet, un seul camion de l’ONG World Vision ravitaille les citernes du camp à raison de 175 mᶾ, ce qui équivaut à une ration de 9 au lieu de 20 litres d’eau par jour et par personne. Mais, explique Jean Damascène Musoni responsable du site, « puisque ce camion s’alimente d’une source à faible débit, l’approvisionnement prend du retard ». Sur les trois points d’eau du camp, également à faible débit, les plus faibles rentrent sans aucune goutte pour préparer le repas. Et cette mère, lasse d’attendre, supplie, la gorge sèche : « Donnez-m’en juste un peu pour étancher la soif »
A part la faim, des maladies menacent. La malaria, la pneumonie et les maladies diarrhéiques sont les plus fréquentes. A en croire le nombre de personnes hospitalisées, « les enfants, les mères et les personnes âgées sont les plus vulnérables et les plus touchées », reconnaît un des responsables des soins de santé.
« Ils meurent, d’autres naissent ! »
Selon Jean Damascène Musoni, responsable du camp de Mahama, les statistiques ont enregistré 24 naissances et autant de décès. Ce que commente Nirera Tatien, une sexagénaire, comme étant la loi de la nature. « Ils meurent, d’autres naissent. Le problème, dit-il, c’est que, pour les premiers, ils ne peuvent prétendre que le Burundi est leur terre natale. Pour les seconds, c’est dommage que l’exil les oblige à mourir loin de leur terroir », comme une insulte en kirundi. « Naître et mourir ». Un lieu commun certes ! Mais la désinvolture avec laquelle le vieux Tatien le dit trahit un sentiment de « mal-être ».
Interrogé sur les causes de ces décès, les autorités du camp parlent de maladie, donc de « mort naturelle », les réfugiés, eux, pointent du doigt les conditions de vie dans le camp.
Ils sont là, devant un autre hangar, couchés sur des bancs et les plus malades à même le sol à attendre les soins d’un médecin et ses assistants. Ils sont nombreux à venir là chaque jour. « Nous en recevons près de 200 par jour dont à peu près 60 cas de paludisme », admet une infirmière.
Le Rwanda a reçu jusqu’aujourd’hui près de 25.000 refugiés Burundais. Déjà une semaine après la première vague, le gouvernement rwandais leur avait accordé le statut de réfugié “ Prima Facie” comme prévu par la Convention de Genève de 1951 et la loi régissant les refugiés au Rwanda.
« De devoir, comme pays d’asile, nous faisons de notre mieux pour leur donner une vie acceptable », indique la ministre en charge de la gestion des catastrophes et des réfugiés (MIDIMAR), qui salue le concours de la communauté internationale