Le rapport publié aujourd'hui par TRIAL International, une ONG suisse, et intitulé "Les défis de la preuve dans les dossiers de compétence universelle", indique que, en 2018, 149 suspects identifiés ont fait l'objet dans 15 pays d'une enquête en application des principes de la compétence universelle – qui permet à certains pays de poursuivre tout individu pour des crimes graves commis dans tout autre pays –, soit 18% de plus que l'année précédente. Dix-sept de ces accusés sont en procès. Huit condamnations et deux acquittements ont été prononcés, selon ce rapport réalisé en collaboration avec la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), REDRESS, le Centre européen des droits constitutionnels et humains (CEDH) et la Fondation internationale Baltasar Garzon (FIBGAR). En ce qui concerne les chefs d'accusation, 111 ont été accusés de crimes de guerre, 90 de crimes contre l'humanité, 15 de génocide et 42 de torture.
Pourtant, peu d'affaires sont portées devant les tribunaux. Comme l'indique le rapport, les succès sont remportés de haute lutte et "de nombreux dossiers ont été abandonnés en raison d'obstacles politiques, juridiques, logistiques ou budgétaires".
Pourquoi la compétence universelle est-elle donc encore importante ? "Je pense que l'on comprend aujourd’hui que, face à certaines situations spécifiques, et je pense en particulier à la Syrie, la compétence universelle est la seule option accessible aux victimes pour obtenir une forme de la justice ", explique Philip Grant, directeur de TRIAL International, à JusticeInfo. "Nous sommes tous d'accord et nous savons tous que la justice sera rare, limitée, longue et difficile, mais la seule solution possible, pour le moment, est la compétence universelle. Et les acteurs sur le terrain, y compris les responsables politiques, commencent, je pense, à comprendre que cet outil peut être utile et qu’on doit y investir. L’apparition de dossiers syriens au cours du dernier mois en témoigne."
La nécessité d'une coopération accrue
L'une des grandes difficultés consiste évidemment à monter un dossier dans des situations où la scène du crime, les suspects, les victimes, les témoins et les preuves documentaires peuvent être dispersés dans plusieurs pays. La clé, dit Grant, est donc dans la coopération et il estime que celle-ci s’accroît. "Le mois dernier, nous avons eu ces arrestations [de suspects syriens] en France et en Allemagne et nous observons des enquêtes pratiquement unifiées entre les deux unités pour crimes de guerre. C'est vraiment quelque chose que nous n'avions pas beaucoup vu dans le passé."
Il plaide également en faveur d'une coopération accrue entre autorités et ONG, ces dernières ayant souvent accès à des informations que les organismes chargés des poursuites n'ont pas autrement, ainsi qu'entre ONG elles-mêmes. "Il y a beaucoup trop de crimes commis et d'affaires à traiter pour que nous soyons en compétition", insiste-t-il.
Un concept de moins en moins occidental
L'essentiel du rapport est un résumé, pays par pays, des affaires de compétence universelle en cours. Elles vont d'une plainte en Argentine contre le prince héritier et vice-premier ministre saoudien Mohammed bin Salman, qui n’a que peu ou pas d'espoir d'être traduit en justice, à des dossiers contre des suspects de génocide rwandais ou de crimes de guerre libériens et syriens qui, eux, ont beaucoup plus de chance de l’être, certains étant en procès. Le rapport offre aussi des éclairages sur des développements intéressants, comme en France, où l’interprétation de la compétence universelle a été élargie pour ouvrir une enquête contre X dans l'affaire "César", sur la Syrie.
La plupart des pays étudiés se trouvent dans l'hémisphère Nord, mais pas exclusivement. Grant y voit une autre tendance positive. "Lorsque l'Argentine enquête sur des dossiers espagnols de l'époque franquiste, cela montre que ce n'est pas seulement un concept du Nord et qu'il peut être utilisé d'une autre façon. Le Sénégal, bien sûr, a poursuivi Hissène Habré, dans ce qui a probablement été le plus grand procès en compétence universelle, avec un pays africain ayant mené une procédure contre un auteur de crimes africain. L'Afrique du Sud commence aussi à avoir recours à la compétence universelle. C’est donc probablement quelque chose qui va se répandre un peu plus au Sud."
2018, un tournant ?
TRIAL est donc optimiste, malgré tous les obstacles. "Lorsque nous regarderons en arrière, dans cinq ans, nous remarquerons probablement que 2017 et 2018 ont marqué un point de basculement et que la compétence universelle se sera sans doute développé depuis ces années-là", prédit-il. "Au début des années 2000, la compétence universelle était très en vogue, mais elle est partie dans toutes les directions, avec des plaintes déposées à peu près n'importe où contre n'importe qui, avec très peu de coordination. Cela a produit un retour de bâton qui a rendu plus difficile, à un moment donné, de porter plainte en Allemagne, en Espagne, et dans plusieurs pays. Les gens ont alors pensé que, dans une certaine mesure, la compétence universelle était morte. Je pense que les dernières années ont montré que c’était faux. Les unités contre les crimes de guerre qui ont été mises sur pied et qui ont continué à travailler constituent de plus en plus de dossiers qui sont presque mûrs pour des procès."
Or, dans des pays à la pointe comme l'Allemagne, la France, la Suède ou la Belgique, les dossiers liés aux crimes internationaux commis en Syrie s’avèrent être au cœur de cet intérêt renouvelé pour la compétence universelle.