Yankuba Touray a occupé plusieurs postes sous l'ancien président Yahya Jammeh, dont celui de ministre des Collectivités locales et des terres. Le 4 mars, il a été inculpé devant le tribunal de la municipalité de Kanifing, près de Banjul, pour avoir essayé d’influencer un témoin devant la Commission vérité, réconciliation et réparation (TRRC), qui enquête sur les violations des droits de l'homme commises sous Jammeh. Touray a nié tout acte répréhensible et a obtenu une libération sous caution et sous condition, avec interdiction de quitter le territoire.
L'ancienne présidente de l'Assemblée nationale gambienne, Fatoumatta Jahumpa Ceesay, fait face à la même accusation. Ceesay n'a cependant pas encore été arrêtée. Mardi, elle se trouvait à l'extérieur du pays, bien qu'elle ait promis de se présenter à la police à son arrivée, selon les médias locaux.
Le témoignage d'Alagie Kanyi
Yankuba Touray a été arrêté le 2 mars et détenu au poste de police de Kairaba à la suite du témoignage du 24e témoin de la Commission, Alagie Kanyi. Kanyi, premier témoin à avoir avoué des meurtres devant la TRRC, a affirmé que Touray et Ceesay l'avaient appelé au téléphone pour lui demander de ne pas comparaître devant la Commission.
L'ancien sergent de l'armée Kanyi a quand même témoigné. Au cours de son témoignage, il a avoué avoir tué plusieurs soldats ainsi que l'ancien ministre des Finances du pays, Ousman Koro Ceesay. Il a également dit que dans les trois exécutions où il avait été présent, Touray avait été impliqué.
En juillet 1994, lorsque Jammeh a pris le pouvoir par un coup d'Etat militaire, Yankuba Touray était sous-lieutenant dans l'armée. Il aurait joué un rôle de premier plan dans les événements qui ont finalement donné naissance au régime militaire.
Le 4 mars, le procureur Almameh Manga a fait valoir devant les juges que les actions présumées de Touray visaient à "entraver ou interférer avec le travail de la Commission". Selon la loi sur la TRRC, toute personne qui "menace ou interfère avec un informateur ou un témoin, fait délibérément obstacle ou interfère de toute autre manière avec le travail de la Commission dans l'exercice de ses tâches, commet une infraction et est passible d'une amende maximale d'un million de dalasis [environ 21 000 dollars], ou d'une peine maximale de trois ans, ou d'une peine d'emprisonnement assortie d’une amende". Après l'arrestation de Touray, le gouvernement gambien a publié un communiqué rappelant à la population que l'ingérence dans les travaux de la Commission est un crime.
Un message à l’adresse des victimes et témoins
Malick Jallow, avocat gambien des droits de l'homme qui a travaillé avec le Tribunal spécial de l’Onu pour la Sierra Leone et la Cour pénale internationale, explique à JusticeInfo que l'arrestation et la poursuite de Touray et Ceesay marquent la volonté de la TRRC de dissuader quiconque d'interférer dans son processus. "Il est dans le meilleur intérêt des victimes de veiller à ce que la punition de cette personne par la loi envoie un message fort et dissuasif à ceux qui s'engageraient ou envisageraient de s'engager dans une telle voie. C'est particulièrement important dans la mesure où la TRRC est en pleine puissance", dit Jallow. "Les témoins sont au centre de ce processus. Il est donc important de créer un environnement favorable, afin de s'assurer que les témoins pertinents aient suffisamment confiance pour venir et dire la vérité."
Jallow ajoute que même si la loi sur la TRRC interdit clairement toute forme d'ingérence, cette affaire sera importante pour établir "le seuil requis pour déterminer ce qui constitue une interférence avec un témoin".
Yankuba Touray doit se présenter à nouveau aux juges le 11 mars, jour de la reprise des audiences publiques devant la TRRC, après une semaine de suspension. Son coaccusé, Ceesay, devrait avoir été inculpée d’ici-là. Pendant la pause, la Commission conduit son programme de sensibilisation des populations et sa campagne intitulée "Plus jamais ça".